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et un peu plus de bon goût. » Cesarini, après avoir achevé la lecture de son manuscrit, était impatient de mettre un terme à l’excursion ; il brûlait d’être seul chez lui, pour savourer à son aise les éloges qu’il avait reçus. Mais il laissa ses poésies à Maltravers, et, mettant pied à terre près des ruines de la villa de Pline, il eut bientôt disparu.

Ce soir-là Maltravers lut les poëmes avec attention. Il se confirma dans sa première opinion. Le jeune homme écrivait sans posséder assez de connaissances. Il n’avait jamais éprouvé les passions qu’il dépeignait, il ne s’était jamais trouvé dans les situations qu’il décrivait. En lui, il n’y avait pas d’originalité, parce qu’il n’y avait pas d’expérience ; sa poésie était un délicieux mécanisme, rien de plus. Elle pouvait bien le tromper, car elle devait flatter son oreille. L’allure mélodieuse du Tasse ne vibrait pas plus musicalement que les stances cadencées de Castruccio Cesarini.

La lecture de ces poésies, ainsi que sa conversation avec le poëte, plongèrent Maltravers dans une profonde rêverie.

« Ce pauvre Cesarini doit me servir d’avertissement ! pensait-il. Il vaut mieux fendre du bois, ou tirer de l’eau, que de se dévouer à un art dans lequel on n’est pas capable de se distinguer. C’est rejeter loin de soi les saines ambitions de la vie, pour un rêve maladif ; c’est faire pis que les Rose-Croix, c’est sacrifier toute beauté humaine au sourire d’une sylphide, qui ne nous apparaît jamais qu’en vision. »

Maltravers relut ses compositions et les jeta au feu. Il dormit mal cette nuit-là. Son orgueil était un peu humilié. Il était comme une beauté qui a vu son portrait en caricature.


CHAPITRE III.

Suivez toujours le bon sens, l’âme de tous les arts.
(Pope, Essais moraux. Essai 4e.)

Ernest Maltravers passait beaucoup de son temps dans la famille de Montaigne. Il n’y a pas d’époque de la vie où l’on soit plus accessible au sentiment de l’amitié, que dans les intervalles d’épuisement moral qui succèdent aux désappointe-