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blic. Mais vous avez dit avec justesse qu’il y a deux tribunaux : le Public et le Temps. Vous pouvez encore faire appel à ce dernier. Vos grands historiens italiens écrivaient pour les générations à venir ; leurs œuvres n’ont été même publiées qu’après leur mort. À mes yeux, cette indifférence pour la renommée vivante a quelque chose de sublime.

— Je ne puis les imiter ; et d’ailleurs ils n’étaient point poëtes, dit aigrement Cesarini. La louange est un aliment indispensable aux poetes ; l’oubli pour eux, c’est la mort.

— Mon cher signor Cesarini, dit l’Anglais, d’un ton pénétré, ne vous abandonnez pas à ces idées-là. Il faut qu’une saine ambition contienne en elle la rude étoffe d’une longévité persévérante ; elle doit vivre dans l’attente et l’espoir de ce jour qui luit tôt ou tard pour ceux dont les travaux méritent le succès.

— Mais peut-être les miens ne le méritent-ils pas. Je le crains quelquefois. C’est une horrible pensée.

— Vous êtes encore bien jeune, dit Maltravers ; peu d’hommes, à votre âge, ont même la soif de la gloire ! Peut-être ce premier pas vous a-t-il déjà fait faire la moitié du chemin. »

Je ne suis pas bien sûr qu’Ernest pensât bien ce qu’il disait ; mais c’était la consolation la plus délicate qu’il pût offrir à un homme dont la brusque franchise l’embarrassait et l’affligeait. Le jeune homme secoua la tête avec découragement. Maltravers essaya de changer d’entretien. Il se leva et se dirigea vers le balcon suspendu au-dessus du lac. Il parla du temps, des admirables sites environnants. Il signala les beautés de détail cachées dans l’ensemble du paysage, avec le regard et le goût d’un homme qui a examiné la nature dans ses plus petits secrets. Le poëte retrouva de la vivacité et de la gaieté ; il devint même éloquent ; il cita des vers, et parla poésie. L’intérêt qu’il inspirait à Maltravers s’accrut de plus en plus. Curieux de savoir si le mérite de son hôte égalait son ambition, il fit entendre à Cesarini qu’il désirait voir ses compositions. C’était justement ce que souhaitait le jeune homme. Pauvre Césarini ! Il était enchanté de trouver un nouvel auditeur, car il s’imaginait naïvement que tout auditeur sincère devait être un admirateur chaleureux. Cependant, avec la timidité habituelle de ses confrères, il affectait de la répugnance et de l’hésitation ; il retardait lui-même l’objet de ses vœux les plus ardents. Maltravers, pour aplanir les voies, lui proposa une excursion sur le lac.

« Un de mes domestiques ramera, dit-il ; vous me réciterez