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essentiellement différents du sien, la connaissance lui en vient presque par intuition. C’est comme s’il décrivait les demeures qu’il a naguère habitées lui-même, quoiqu’il n’y ait pas fait long séjour. De là, vient chez les écrivains pour l’histoire, le roman où le théâtre, le gusto qu’où retrouve dans la peinture de leurs personnages ; leurs créations sont de chair et d’os ; ce ne sont pas des ombres ou des machines.

Quant aux sujets de ses rudes et incomplètes esquisses, Maltravers était donc un égoïste ; quant à la manière, il était, je l’ai déjà dit, négligent et indifférent, comme le sont ceux qui n’ont pas encore découvert que l’expression est un art. Pourtant ces compositions spontanées et sans valeur, ces confessions extatiques et secrètes de son cœur, étaient pour lui un délice. Il commençait à goûter les transports, l’enivrement d’un auteur. Ah ! que de volupté il y a dans ce premier amour de la muse, dans cette inspiration qui donne une forme palpable aux visions longtemps insaisissables, qui flottent autour de nous. C’est le beau fantôme de l’idéal qui est en nous, que nous évoquons dans le silence du cabinet, avec une simple plume en guise de baguette magique !

Le lendemain du jour où Maltravers avait fait la connaissance de la famille de Montaigne, il était assis de bonne heure dans la chambre qu’il préférait, et qu’il avait choisie parmi toutes celles de sa vaste et solitaire demeure, pour en faire son cabinet de travail. C’était dans un renfoncement, à côté d’une fenêtre ouverte, qui donnait sur le lac ; des livres étaient épars sur la table, et il écrivait quelques notes critiques sur ce qu’il lisait, les entremêlant de ses impressions sur ce qu’il voyait. Il n’y a pas de composition plus agréable que l’album d’un homme qui étudie dans la retraite, qui observe dans le monde, et qui sait sentir toutes choses et les admirer à loisir. Il était absorbé dans cette facile occupation, lorsqu’on annonça Cesarini, et que le jeune frère de la belle Térésa entra dans l’appartement.

« Je me suis empressé de profiter de votre invitation, dit l’Italien.

— Je suis flatté de cet empressement, répliqua Maltravers en serrant la main qui lui était timidement tendue.

— Je vois que vous écrivez. Je savais bien que vous vous occupiez de littérature. Je l’ai vu sur votre physionomie, je l’ai entendu dans le ton de votre voix, dit Cesarini en s’asseyant.