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Maltravers n’éprouvait pas encore cette soif ardente de renommée ; il n’en avait pas encore goûté la douceur et l’amertume. Fatal breuvage ! qui, si l’on y met une fois les lèvres, éveille trop souvent une ardeur inextinguible ! Il n’avait pas non plus d’ennemis ni d’envieux qu’il voulût se donner le plaisir d’humilier par son mérite ; motif d’ambition qui n’est pas rare chez les esprits fiers. À la vérité, il passait généralement pour un homme d’esprit, et les sots le craignaient. Mais, comme il ne gênait activement les prétentions de personne, personne ne songeait à le traiter d’imbécile. C’était donc tranquillement et naturellement que, pour le moment, son esprit se frayait un chemin légitime vers sa destinée d’activité. Il commença, avec une indifférence paresseuse, à prendre note de ses pensées et de ses impressions ; une fois sur le papier, elles firent naître de nouveaux sujets ; ses idées lui devinrent plus lucides à lui-même ; et la page se métamorphosa bientôt en un miroir, dans lequel il reconnaissait son image. Il écrivit d’abord rapidement, et sans système. Il n’avait d’autre but que de satisfaire son goût et de verser au dehors le trop plein de son esprit ; ses écrits, comme presque tous ceux de la jeunesse, étaient, pour ainsi dire, personnels. On a pour point de départ l’étroit foyer de sa passion et de son expérience propre ; ce n’est que plus tard, qu’on élargit sa sphère. Peut-être les hommes qui ont mérité de devenir nos maîtres, et qui nous ont laissé les leçons les plus riches et les plus étendues pour la pratique de la vie, et l’étude des caractères, ont-ils commencé par être personnels. Car chez un homme de haute capacité, il y a une perception très-profonde et très-vive de son existence propre. Un homme d’imagination et d’une nature susceptible a dix fois plus de puissance de vie qu’un homme borné, fût-il Hercule en personne. Il se multiplie dans mille objets, associe chacun d’eux à sa propre identité, se sent vivre dans chacun d’eux, et considère le monde, avec tout ce qu’il contient, comme une partie de son individualité. Plus tard, quand son feu commence à tomber, il fait rentrer ses forces dans la citadelle ; mais il conserve la connaissance du terrain qu’elles occupaient, et il s’y intéresse toujours. Il comprend les autres, car il a vécu de la vie des autres, de celle des morts et de celle des vivants ; tantôt il s’est cru un Brutus, tantôt un César ; et il s’est demandé comment il aurait agi dans presque toutes les circonstances imaginables de la vie.

C’est ainsi que, lorsqu’il commence à peindre des caractères