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non pas vieux, mais beaucoup plus âgé qu’elle, l’aime d’un amour mêlé de tant de confiance et de vénération ! Maltravers était debout à quelques pas des deux époux sur la pente du rivage, les bras croisés et le visage pensif.

« Comment se peut-il, dit-il sans s’apercevoir qu’il parlait à demi voix, que les êtres les plus vulgaires de ce monde aient le pouvoir de nous procurer un plaisir si divin ? Quel contraste entre ces musiciens et cette musique ! À cette distance leurs contours se dessinent vaguement, et l’on pourrait presque s’imaginer que les créateurs de ces suaves accents sont d’une autre nature que la nôtre. Peut-être est-ce de cette manière que la poésie du passé résonne à notre oreille, d’autant plus profonde, et d’autant plus divine, qu’elle est plus éloignée de l’argile dont étaient formés les poëtes. Art puissant ! art magique ! Comme tu nous embellis, comme tu nous élèves ! Que serait la nature sans toi !

— Vous êtes poëte, signor, dit une voix claire et douce, à côté du penseur : Maltravers tressaillit en s’apercevant qu’il avait été entendu, sans s’en douter, par le jeune Cesarini.

— Non, dit Maltravers, je cueille les fleurs, je ne cultive pas le sol.

— Et pourquoi pas ? dit Cesarini avec une soudaine énergie ; vous êtes Anglais, vous ; vous avez un public, vous avez une patrie, vous avez un théâtre vivant, un auditoire qui respire. Nous autres Italiens, nous n’avons rien que les morts. »

En regardant le jeune homme, Maltravers fut surpris de voir l’animation subite qui illuminait son pâle visage.

« Vous m’avez fait une question que je voudrais bien vous adresser à mon tour, dit l’Anglais, après un moment de silence. Vous êtes poëte, à ce que je puis voir ?

— Je me suis figuré que je pourrais l’être. Mais, chez nous, la poésie est un oiseau dans le désert ; il chante par instinct, et son chant meurt sans qu’on l’ait écouté. Ah ! que je voudrais appartenir à un pays vivant, tel que la France, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Amérique, et non à la décomposition d’une géante défunte ! car telle est maintenant la terre de la lyre antique.

— Tâchons de nous revoir bientôt, » dit Maltravers, en lui tendant la main.

Cesarini hésita un moment ; puis il accepta et rendit le témoignage de politesse qui lui était offert. Malgré sa réserve, il sentait pourtant quelque chose qui l’attirait vers Maltravers ;