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s’animaient, de façon à prouver que l’intelligence était encore là, quoique imparfaitement éveillée.

« Je n’en ai pas volé, mon père, dit-elle d’une voix calme ; mais j’en aurais bien pris si je n’avais craint d’être battue par vous.

— Et pourquoi avez-vous besoin d’argent ?

— Pour acheter de quoi manger quand j’ai faim.

— Pas autre chose ?

— Je ne sache pas. »

La jeune fille se tut ; puis au bout de quelques instants :

« Pourquoi, dit-elle, ne me laissez-vous pas aller travailler à la manufacture avec les autres jeunes filles ? J’y gagnerais de l’argent pour vous, et pour moi aussi. »

L’homme sourit d’un sourire qui sembla mettre en relief tout ce qu’il y avait de révoltant dans sa physionomie.

« Enfant, dit-il, vous avez juste quinze ans, et vous êtes bien niaise ; si vous alliez à la manufacture, peut-être me quitteriez-vous ; et que ferais-je sans vous ? Non, je crois que, jolie comme vous l’êtes, vous pourriez faire plus d’argent autrement. »

La jeune fille ne parut pas comprendre cette insinuation ; mais elle répéta machinalement :

« Je voudrais bien aller à la manufacture.

— Sottises ! dit l’homme avec colère, j’ai presque envie de… »

Il fut interrompu en ce moment par le retentissement d’un coup violent contre la porte de la cabane.

L’homme devint pâle.

« Qu’est-ce donc ? grommela-t-il. Il est tard…, onze heures presque. Encore…, encore ! Demandez donc qui frappe ainsi, Alice ! »

La jeune fille s’arrêta un moment devant la porte ; en cet instant, sa taille harmonieuse, quoique petite, son regard attentif, les couleurs changeantes de son visage, la tendre jeunesse, et la grâce singulière de son attitude et de ses gestes, eussent inspiré à un artiste le type idéal de la beauté champêtre.

Après un moment d’hésitation elle appliqua ses lèvres à une crevasse de la porte, et répéta la question de son père.

« Pardonnez-moi, je vous prie, dit une voix claire et forte, mais courtoise pourtant ; j’ai aperçu de la lumière à votre fenêtre, et je me suis hasardé à demander s’il y a quelqu’un chez vous qui veuille bien me conduire à *** ; je rétribuerai convenablement celui qui me rendra ce service.