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une fois même, avait pris part au chœur, deux fois répété, avec une voix d’une justesse si parfaite, et d’une ampleur si remarquable, qu’elle avait éveillé l’admiration des exécutants eux-mêmes.

« Ce monsieur n’est-il pas de votre société ? demanda de Montaigne aux Milanais.

— Non, signor, répondirent-ils, nous ne le connaissons pas ; sa barque est arrivée vers nous à l’improviste, pendant que nous chantions. »

Tandis que s’échangeait ce dialogue, le jeune homme avait quitté son poste, et ses avirons fendaient la surface unie du lac, juste vis-à-vis de l’endroit où se trouvait de Montaigne. Avec la courtoisie habituelle à ses compatriotes, le Français leva son chapeau, et par ce geste il attira le regard et arrêta l’aviron du rameur solitaire.

« Voulez-vous nous faire l’honneur, dit-il, de vous joindre à notre petite réunion ?

— C’est un plaisir que j’ambitionne trop pour le refuser, répliqua le batelier avec un léger accent étranger : et un instant après il était à terre. Sa tournure avait quelque chose de remarquable. Ses longs cheveux flottaient avec une gracieuse négligence sur un front plus calme et plus pensif que ne le comportait son âge. Ses manières étaient singulièrement tranquilles et contenues ; elles n’étaient pas dépourvues d’une certaine dignité, rendue encore plus frappante par sa haute stature, le noble contour de ses traits, et par une expression habituelle de mélancolie sereine dans les yeux et le sourire.

— Vous n’aurez pas de peine à croire, dit-il, que, malgré la froideur dont on accuse mes compatriotes (car vous avez dû vous apercevoir déjà que je suis Anglais), en me trouvant si près du lieu consacré par l’inspiration, je n’ai pu m’empêcher de partager l’enthousiasme général. Pour ce qui est du reste, j’habite pour le moment cette villa qui est située là-bas, vis-à-vis de la vôtre ; je me nomme Maltravers, et je suis enchanté de penser que je ne suis plus tout à fait étranger à une personne dont la renommée m’est déjà parvenue. »

Madame de Montaigne fut flattée par quelque chose, dans le ton et la manière de l’Anglais, qui en disait beaucoup plus que ses paroles ; et au bout de quelques minutes, sous l’heureuse influence du sans-gêne continental, tous les membres de cette petite société semblaient s’être connus depuis plusieurs années. Du vin, des fruits et d’autres rafraîchissements simples