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ni de ses amis, ni de son pays, ni de son mari même, ni du système social au milieu duquel elle vivait ; chez une femme du monde, une femme de Paris ! Oui, son désappointement même dissipait les vapeurs et les brumes qui, émanant des marais du grand monde, enveloppaient son âme. Valérie de Ventadour lui avait appris à ne pas mépriser son sexe, à ne pas juger d’après les apparences, à ne pas se dégoûter d’un monde vil et hypocrite. Il cherchait dans son cœur l’amour que lui inspirait Valérie, et il n’y trouvait plus que l’amour de la vertu. Ainsi, en tournant ses regards en lui-même, il s’éveillait par degrés à la connaissance des véritables impressions qui y étaient gravées, et il sentait que la goutte la plus amère dans cette source de larmes profondes n’était pas du regret pour lui, mais pour elle. Que d’angoisses avait dû subir cette âme fière avant de se soumettre à l’aveu qu’elle avait proféré ! Et pourtant ce fut dans cette affliction même qu’il finit par trouver une consolation. Une âme si forte était capable de supporter et de guérir la faiblesse du cœur. Valérie de Ventadour n’était pas femme, il le sentait, à s’abandonner sans réserve à des émotions enivrantes et coupables. Il ne pouvait se flatter qu’elle ne chercherait pas à arracher de son cœur un amour dont elle se repentait ; et, avec son égoïsme naturel, il soupirait en s’avouant aussi que, tôt ou tard, elle y réussirait.

« Qu’il en soit ainsi, dit-il presque à haute voix ; je vais préparer mon cœur à se réjouir lorsqu’il apprendra qu’elle ne se souvient de moi que comme d’un ami. Après le bonheur de posséder son amour, vienne l’orgueil de mériter son estime ! »

Tel fut l’esprit dans lequel il mit un terme à ses rêveries ; et chaque lieue qui l’éloignait du Midi, le confirmait et le raffermissait dans son sentiment.

Ernest Maltravers savait que les passions aussi contribuent beaucoup à nous purifier et à nous ennoblir ; que même un amour répréhensible, conçu sans dessein prémédité, et contre lequel (lorsqu’on en a bien compris la nature) on lutte avec un noble courage, laisse le cœur plus aimant et plus tendre, et l’âme plus sereine et plus grande. La philosophie qui se borne à la raison peut mettre en mouvement des automates ; mais ceux qui ont le monde pour théâtre et qui découvrent que leurs cœurs en sont les principaux acteurs, doivent puiser l’expérience et la sagesse dans la philosophie des passions.