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mençai cependant à regarder autour de moi, et à chercher ce que pouvait avoir de vrai la philosophie du vice. Je découvris que nulle femme qui aime fidèlement et sincèrement un amant illicite, n’est heureuse. Je découvris aussi la hideuse profondeur de cette maxime de La Rochefoucault, qu’une femme (je parle des Françaises) peut, à la rigueur, vivre sans amant ; mais que, si elle en prend un, sa vie ne se passera pas sans qu’elle en ait d’autres. Elle est abandonnée ; elle ne peut supporter sa douleur et sa solitude ; il lui faut une nouvelle idole pour combler le vide de la première. Pour elle, il n’y a plus même cette chute douloureuse de la vertu au vice ; elle descend par une pente glissante et involontaire de faute en faute, jusqu’à ce que la vieillesse survienne et la laisse seule, sans amour et sans respect. Je raisonnais avec calme, car mes passions n’aveuglaient pas ma raison. Je ne pouvais aimer les égoïstes qui m’entouraient. Je décidai de mon avenir ; et maintenant, dans la tentation, je resterai fidèle à ma résolution. La vertu est mon amant, mon orgueil, ma consolation, l’âme de ma vie. Vous m’aimez, dites-vous, et vous voudriez m’enlever ce trésor ! Je vous vis, et, pour la première fois, j’éprouvai un sentiment vague et enivrant d’intérêt pour un autre ; mais jamais je ne songeai qu’il pût y avoir du danger. Quand je vous connus mieux, je me fis une illusion délicieuse et romanesque. Je voulais être votre amie la plus ferme, la plus fidèle, votre confidente, votre conseillère ; peut-être, dans certaines phases de votre vie, votre inspiration et votre guide. Je vous répète que je ne prévoyais aucun danger dans votre société. Je me sentais plus noble, meilleure. Je me sentais plus bienveillante, plus indulgente, plus exaltée dans la vertu. Je voyais la vie à travers le prisme d’une admiration pure pour une nature richement douée, et pour une âme profonde et généreuse. Je m’imaginais que nous pourrions toujours être ainsi l’un pour l’autre : l’un soutenant, rassurant, encourageant son ami ou son amie. J’envisageais même avec plaisir la perspective de votre mariage ; je me promettais d’aimer votre femme, de contribuer avec elle à votre bonheur. Mon imagination me faisait oublier la fragilité de notre nature. Soudain toutes ces illusions s’évanouirent ; le palais enchanté fut renversé, et je me réveillai sur le bord de l’abîme. Vous m’aimiez ! Au moment de ce fatal aveu, le masque tomba de mon âme, et je sentis que vous m’étiez devenu trop cher !… Encore un moment de silence, je vous en conjure ! je ne vous parlerai pas des émo-