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un sentiment délicieux et longtemps assoupi. Mais, depuis lors, que d’émotions profondes ce sentiment n’a-t-il pas évoquées ! Votre gracieux esprit, vos charmantes pensées, si sages et pourtant si féminines, ont achevé la conquête que votre visage et votre voix avaient commencée. Valérie, je vous aime ! Et vous, vous… Valérie !… Ah ! je ne m’abuse pas…. vous aussi…

— J’aime ! dit Valérie en rougissant beaucoup, mais avec une voix calme. Ernest Maltravers, je ne le nie pas ; loyale ment et franchement j’avoue ma faute. J’ai examiné mon cœur pendant toute cette nuit d’insomnie, et j’avoue que je vous aime. Maintenant, comprenez-moi bien ; nous ne devons plus nous revoir.

— Quoi ! s’écria Maltravers en tombant à ses pieds, et en cherchant à retenir la main dont il s’était emparé. Quoi ! maintenant que vous avez donné à ma vie un charme nouveau, voulez-vous la flétrir aussitôt ? Non, Valérie ; non, je ne vous obéirai point. »

Madame de Ventadour se leva, et avec une froide dignité :

« Écoutez-moi tranquillement, dit-elle, ou bien quittez cette chambre ; et que tout ce que je voulais vous dire maintenant, reste à jamais secret. »

Maltravers se leva aussi, croisa ses bras avec hauteur, se mordit la lèvre, et s’arrêta debout devant Valérie, plutôt dans l’attitude d’un accusateur que d’un suppliant.

« Madame, dit-il gravement, je ne vous offenserai plus ; j’en croirai les airs que vous prenez, ne pouvant pas croire à vos paroles.

— Vous êtes cruel, dit Valérie, avec un sourire mélancolique ; mais tous les hommes le sont. À présent, laissez-moi me faire comprendre. Je fus fiancée à M. de Ventadour dans mon enfance. Je ne le vis qu’un mois avant notre mariage. Je n’eus pas le droit de choisir. Les filles en France ne l’ont jamais ! On nous maria. Je n’avais pas d’autre attachement. J’étais fière et vaine : la fortune, l’ambition et le rang contentèrent pendant quelque temps mes facultés et mon cœur. Je finis pourtant par devenir malheureuse et agitée. Je sentais qu’il manquait quelque chose dans ma vie. La sœur de M. de Ventadour fut la première à me conseiller la ressource commune de notre sexe (du moins en France), un amant. Je fus épouvantée et révoltée, car j’appartiens à une famille où les femmes sont chastes comme les hommes sont braves. Je com-