Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’aurais mangé de l’herbe ; si j’eusse été un ruminant, j’aurais ruminé ; mais comme elle a fait de moi un animal carnivore, culinaire, et cachinnatoire, je mange une côtelette, je peste contre la sauce, et je ris à vos dépens ; et c’est là ce que vous appelez être égoïste ? »

La matinée était avancée lorsque Maltravers se trouva dans le palazzo de madame de Ventadour. Il fut étonné, mais agréablement, d’être reçu, pour la première fois, dans ce sanctuaire privé, qui porte le titre usé de boudoir. Mais dans la simplicité du salon particulier de madame de Ventadour, il y avait peu de chose qui rappelât le boudoir d’une grande dame. C’était un appartement élevé, garni de livres, et meublé avec élégance, mais sans le moindre luxe.

Valérie n’y était pas ; Maltravers, dès qu’il fut seul, jeta un rapide coup d’œil autour de la chambre, s’appuya avec distraction contre la muraille ; hélas ! il avait déjà oublié tous les avertissements de Cleveland. Au bout de quelques instants la porte s’ouvrit, et Valérie entra. Elle était plus pâle que de coutume, et Maltravers crut voir des traces de larmes sur ses paupières. Il en fut touché, et son cœur saigna.

« Je crains de vous avoir fait attendre, dit Valérie en lui montrant un siége à une petite distance de celui où elle s’assit ; mais vous me pardonnerez, ajouta-t-elle avec un demi-sourire. Elle vit qu’il allait parler, et elle continua rapidement :

— Écoutez-moi, monsieur Maltravers ! avant de parler, écoutez-moi ! Vous avez proféré des paroles hier au soir que vous n’auriez jamais dû m’adresser. Vous avez prétendu… m’aimer.

— J’ai prétendu !

— Répondez-moi, dit Valérie avec une soudaine énergie, non pas comme un homme répond à une femme, mais comme une créature humaine répond à une autre. Du fond de votre âme, du plus profond de votre conscience, je vous adjure de me dire la simple, la loyale vérité. M’aimez-vous autant que votre cœur, que votre génie sont capables d’aimer ?

— Je vous aime sincèrement… passionnément ! dit Maltravers surpris et troublé, mais pourtant avec de l’enthousiasme dans sa voix mélodieuse et dans son regard éloquent.

Valérie le regarda comme si elle cherchait à pénétrer jusqu’au fond de son âme. Maltravers continua : Oui, Valérie, la première fois que je vous ai rencontrée, vous avez réveillé en moi