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l’instant par un des courriers qui honorent quelquefois de leur passage la ville de Naples, par parenthèse (laquelle pourrait être un marché lucratif pour le commerce anglais, si les rois napolitains se souciaient de relations commerciales, ou si les sénateurs anglais se préoccupaient de politique étrangère). Les lettres d’intérêt adressées par les banquiers ou les régisseurs furent bientôt parcourues ; Maltravers réservait pour la fin la missive de Cleveland. Elle contenait beaucoup de choses qui le touchaient intimement. Après quelques détails d’affaires. relatifs aux biens dont Maltravers avait maintenant l’administration, et après quelques commentaires sans importance, en réponse à des observations qui n’en avaient pas davantage, contenues dans les lettres d’Ernest, Cleveland continuait ainsi :

« Je vous assure, mon cher Ernest, qu’il me tarde de vous voir revenir en Angleterre. Vous êtes resté à l’étranger assez longtemps pour voir d’autres pays ; n’y restez pas assez longtemps pour les préférer au vôtre. Et puis, vous êtes à Naples ! Je tremble pour vous. Je connais bien cette existence charmante, rêveuse, pleine de loisirs, qu’on mène en Italie ; vie si délicieuse pour les hommes de savoir et d’imagination, si délicieuse aussi pour la jeunesse, si délicieuse pour le plaisir ! Mais, Ernest, ne sentez-vous pas déjà à quel point elle énerve ? Ne sentez-vous pas combien le voluptueux far niente nous rend impropres à l’activité sérieuse ? On peut finir par devenir trop raffiné, trop difficile pour remplir une tâche utile, et nulle part on ne le devient aussi rapidement qu’en Italie. Mon cher Ernest, je vous connais bien ; vous n’êtes pas fait pour tomber au rang d’un virtuose, avec un cabinet rempli de camées, et une tête remplie de tableaux ; encore moins êtes-vous fait pour devenir l’indolent Sigisbée de quelque belle Italienne, n’ayant plus qu’une passion et deux idées ; et pourtant j’ai connu des hommes d’autant de mérite que vous, dont cette enivrante Italie avait fait l’un ou l’autre de ces deux êtres insignifiants. N’allez pas vous laisser égarer par l’idée que vous avez beaucoup de temps devant vous. Il n’en est rien à votre âge et avec votre fortune. (Je voudrais bien que vous ne fussiez pas si riche !) Le loisir d’une année devient l’habitude de l’année suivante. En Angleterre, pour être un homme utile ou distingué, il faut travailler. Or, le travail, par lui-même, est doux, si nous nous y accoutumons de bonne heure. Nous sommes une race rude, mais aussi nous sommes une race virile ; et nul théâtre en Europe n’est plus