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en lui assez d’orgueil pour une seule de ses doses. Il n’était pas même fier de n’avoir pas de fierté. Hérissez toutes ses plumes, ce ne sera jamais qu’une colombe irritée. Mon père était calme et doux, mon oncle vif et bouillant ; mon père raisonnait, mon oncle imaginait ; mon père avait rarement tort, mon oncle n’avait jamais bien raison ; mais, comme mon père disait un jour : « Roland bat le buisson jusqu’à ce qu’il fasse envoler l’oiseau que nous cherchons ; il n’est jamais dans son tort sans nous montrer le vrai. Tout dans mon oncle était sévère, âpre, angulaire ; tout dans mon père était doux, poli, arrondi avec une grâce naturelle. Le caractère de mon oncle jetait une multiplicité d’ombres, comme un édifice gothique sous le ciel du Nord ; mon père était toujours éclairé comme un temple grec, à midi, sous le ciel méridional.

Leur aspect répondait à leurs caractères. Le grand profil aquilin de mon oncle, son teint bronzé, son œil de feu, sa lèvre supérieure toujours tremblante, formaient un contraste remarquable avec le profil délicat de mon père, son œil calme et rêveur et l’imperturbable douceur de son sourire. Le front de Roland était très-haut et se terminait en pic au sommet de la tête, où les phrénologues placent l’organe de la vénération ; mais il était étroit et sillonné de rides profondes. Celui d’Augustin était peut-être aussi haut, mais une douce et soyeuse chevelure cachait naturellement sa hauteur en laissant voir sa vaste largeur, où l’on ne découvrait pas une ride.

Il existait toutefois une grande ressemblance de famille entre les deux frères. Lorsqu’un sentiment plus doux s’emparait de Roland, il avait tout l’air d’Augustin ; lorsqu’une grande émotion animait mon père, vous auriez pu le prendre pour Roland. J’ai souvent pensé depuis, lorsque la vie m’eut donné une plus grande expérience des hommes, que si leurs destinées avaient été échangées dans leurs jeunes ans, si Roland s’était livré à la littérature, si mon père avait été contraint d’embrasser une vie active, chacun d’eux, tout étrange que cela puisse paraître, aurait eu plus de succès dans le monde : car la passion et l’énergie de Roland auraient donné à ses études un but immédiat et forcé ; il aurait pu devenir historien ou poète. Ce n’est pas l’étude seule qui fait un écrivain, c’est la vigueur. Dans l’esprit, comme dans une cheminée, il faut rétrécir l’ouverture