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cou de ma mère, j’effaçai par mes baisers la peine que je lui avais faite.

Je restai seul dans ma chambrette, où j’avais toujours dormi d’un sommeil si doux et si facile : mais j’aurais tout aussi bien fait, ce soir-là, de me coucher sur de la paille hachée. Je me tournai de côté et d’autre sans pouvoir m’endormir. Je me levai, mis ma robe de chambre, allumai ma bougie et m’assis à la table près de la fenêtre. D’abord je pensai à cette esquisse inachevée de la jeunesse de mon père, qui venait d’être tracée si brusquement devant moi. J’en complétai les couleurs, m’imaginant que ce tableau expliquait tout ce qui m’avait si souvent embarrassé dans mes conjectures. Je compris, sans doute par quelque sympathie secrète de ma nature, car l’expérience ne pouvait m’avoir appris que peu de chose, je compris, dis-je, comment un esprit ardent, sérieux, investigateur, se débattant contre l’amour sous le poids de la science, avait pu, lorsque ce stimulant lui avait été brusquement ravi, tomber dans le calme d’une étude passive et sans but. Je compris comment dans l’indolence d’un mariage heureux, mais sans amour, avec une compagne si douce, si prévenante, si soigneuse, mais si peu faite pour exciter, pour tourmenter, pour allumer une intelligence naturellement calme et méditative, années sur années s’étaient écoulées dans une oisiveté savante et solitaire. Je compris aussi comment mon père, étant entré dans cette phase du milieu de la vie, où tous les hommes sont portés à l’ambition, entendit de nouveau peu à peu les voix mystérieuses qui avaient gardé le silence pendant si longtemps ; et comment l’esprit, secouant enfin le poids de la nonchalance que lui avait imposé un cœur trompé et déçu, aperçut encore une fois, belle comme dans sa jeunesse, la renommée, seule véritable maîtresse du génie !

Oh ! comme j’étais heureux du paisible triomphe de ma mère ! Comme, en jetant mes regards sur le passé, je découvrais les progrès qu’elle avait faits tous les ans dans l’excellent cœur de mon père ! Avec quel bonheur je voyais que ce qui n’avait été d’abord que bienveillance s’était changé en amour, et que les habitudes et les innombrables anneaux de cette chaîne des douces affections domestiques avaient remplacé, chez l’homme vraiment bon, la sympathie qui manquait d’abord au savant isolé !