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désirer lire son destin. Oui, parce que son amour était sans espoir, parce que je savais que je pourrais le rendre heureux, parce que je savais qu’il finirait par m’aimer… et il m’aime ! Mon fils, votre père m’aime ! »

À ces mots, il vint aux joues de ma mère une rougeur aussi innocente que le fut jamais celle d’une vierge. Elle était si belle, si bonne et si jeune encore, après un si long temps, qu’il aurait fallu que mon père fût possédé de Dussius, le diable des Teutons, ou de Nock, le démon maritime des Scandinaves, d’où les savants font dériver nos démons modernes, Deuce et Old-Nick, pour ne pas arriver à aimer une pareille créature.

Je baisai sa main sans dire un mot, car mon cœur était trop ému en ce moment ; puis je changeai en partie de sujet.

« De sorte que cette rivalité les brouilla encore davantage ? Et qui était cette dame ?

— Votre père ne me l’a jamais dit, et je ne le lui ai jamais demandé, répondit ma mère avec simplicité. Mais je sais qu’elle était bien différente de moi, très-accomplie, très-belle et de grande naissance.

— Malgré tout cela, mon père a été heureux de lui échapper. Mais passons. Que fit le capitaine ?

— Vers ce temps-là votre grand-père mourut, et peu après, une tante maternelle, qui était riche et économe, mourut aussi, leur laissant à chacun seize mille livres sterling. Votre oncle employa sa part à racheter, à un prix exorbitant, le vieux castel et quelques terres environnantes, qui ne lui rapportent pas, dit-on, trois cents livres par an. Avec le peu qui lui restait, il acheta une commission dans l’armée, et les deux frères se perdirent de vue jusqu’à la semaine dernière, époque du retour soudain de Roland.

— Il ne s’est pas marié avec cette jeune dame si accomplie ?

— Non, mais avec une autre, et maintenant il est veuf.

— Quoi ! il a été aussi inconstant que mon père ! et je suis sûr qu’il n’avait pas une aussi bonne excuse que lui. Comment cela s’est-il fait ?

— Je l’ignore. Il n’en parle jamais.

— A-t-il des enfants ?

— Deux : un fils, et, soit dit en passant, il ne faut jamais parler de lui. Votre oncle, lorsque je lui demandai comment sa famille était composée, me répondit brièvement : « J’ai une fille,