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l’égoïsme de la brute et qu’il attache du prix aux éloges que les hommes ne donnent jamais qu’aux actions qui assurent ou augmentent leur bien-être. Plus tard, messieurs, nos sauvages découvrent qu’ils ne peuvent vivre en sécurité, à moins de se dire la vérité les uns aux autres : c’est pourquoi ils arrivent à estimer la sincérité, qui devient ainsi un principe d’honneur. Frère Austin nous dira que, dans les premiers temps, la sincérité fut toujours l’attribut d’un héros.

— C’est vrai, dit mon père, Homère ne manque pas de le donner à Achille.

— De là vient la nécessité d’une sorte de justice et de lois grossières. C’est pourquoi les hommes, après le courage chez le guerrier et la sincérité chez tous, commencent à attacher de l’honneur à la vieillesse, qu’ils chargent de maintenir la justice parmi eux. C’est ainsi, messieurs, que naquit la loi.

— Mais les premiers législateurs furent des prêtres, observa mon père.

— Messieurs, j’arrive à cette objection. D’où vient le désir des honneurs, si ce n’est de la nécessité où se trouve l’homme de surpasser ses semblables, en d’autres termes, de la nécessité de perfectionner ses facultés pour augmenter le bien-être d’autrui, quoique réellement il ne se doute pas de cette conséquence et ne cherche que les éloges ? Mais ce désir des honneurs est inextinguible, et naturellement l’on souhaite d’être récompensé jusqu’au delà du tombeau. C’est pourquoi celui qui a tué le plus de lions ou d’ennemis, est naturellement porté à croire qu’il aura la meilleure chasse et la meilleure place au banquet dans le pays d’outre-tombe. Dans toutes ses opérations la nature inspire à l’homme l’idée d’un pouvoir invisible, et le principe de l’honneur, c’est-à-dire le désir des louanges et des récompenses, lui fait rechercher l’approbation que ce pouvoir peut lui donner. De là vient la première et grossière idée de religion ; et dans l’hymne de mort qu’il chante attaché au poteau, le sauvage prédit les honneurs qui l’attendent. La société progresse ; on bâtit des hameaux ; la propriété s’établit. Celui qui possède plus qu’un autre a aussi plus de pouvoir que lui ; le pouvoir est un honneur. L’homme convoite l’honneur attaché au pouvoir, qui est attaché lui-même à la possession. Ainsi le sol se cultive, ainsi se forment des ra-