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vez-lui, vous, de votre propre main, et dites-lui comment son fils est mort ! »

Le héros a exaucé cette prière, et sa lettre est plus chère à Roland que toute la liste de ses ancêtres. La nature a réclamé ses droits, et les ancêtres se sont retirés devant le fils.

Mais ce fils perdu n’a pas été un seul jour oublié. Jamais son nom n’a été prononcé sans que des larmes aient mouillé les paupières du vieillard ; et chaque matin, le paysan qui se rend à son travail peut voir Roland descendre lentement le vallon et se diriger vers la porte de la chapelle. Personne n’oserait suivre ses pas ni troubler ses pensées solennelles ; car il fait sa prière devant l’épitaphe, et la mémoire des morts est une partie de notre communion avec le ciel. Mais la démarche du vieillard est encore ferme ; il porte haut la tête : on voit sur son visage que ce n’est point par une vaine jactance qu’il s’est proclamé père résigné. Et vous, qui vous demandez si cette résignation chrétienne ne serait pas peut-être de l’insensibilité païenne, pensez à ce que c’est que de craindre pour son fils une vie de honte. La plus grande douleur d’un père n’est-elle pas la mort de l’honneur de son fils ?

Des années se sont écoulées, et deux jolies filles folâtrent aux pieds de Blanche, ou autour du tabouret d’Austin, attendant patiemment qu’il lève les yeux de dessus son grand ouvrage (le grand ouvrage approche de sa fin) pour réclamer le baiser promis. Mais lorsque Roland entre, oubliant tout à coup leur gravité, et ne tenant aucun compte du terrible Papæ ! elles courent à lui et le somment de tenir la promesse qu’il leur a faite de les balancer sur l’escarpolette du verger, ou de leur chanter pour la cinquantième fois la Chasse de Chevy.

Pour moi, je reçois les biens que Dieu m’envoie, et je suis content de ces filles qui ont les yeux de leur mère ; Roland, l’ingrat, commence à gronder de ce que nous nous occupons si peu des droits des héritiers mâles. Il ne sait pas trop si c’est la faute de M. Squills ou la nôtre ; je ne jurerais pas qu’il ne suppose une conspiration de tous les trois pour faire tomber en quenouille l’héritage des guerriers de Caxton. Quel que soit le coupable, une omission si fatale à la ligne droite en généalogie est enfin réparée, et dame Primmins se précipite de nouveau, ou plutôt se roule, par le mouvement naturel aux corps sphériques, dans la chambre de mon père en s’écriant :