Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/567

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arbre qui devait ombrager mon toit de ses fleurs, et embaumer de ses parfums l’air nécessaire à mon existence.

Les amis que j’avais quittés désiraient et demandaient à Dieu que telle fût ma récompense, et chacun avait contribué, selon son pouvoir, à faire de cette charmante jeune fille l’ornement et la joie de celui qui aspirait à être son gardien et son protecteur. Elle avait hérité de Roland ce sentiment grave et profond de l’honneur, qui fait la force de l’homme et qui s’épure encore dans l’âme de la femme. C’est de Roland aussi qu’elle tenait son goût pour toutes les beautés de la poésie et de la nature. Son œil étincelait en lisant comment Bayard, resté seul pour défendre un pont, sauva l’armée française ; elle arrosait de larmes la page où était raconté comment Sidney mourant écarta de ses lèvres brûlantes la coupe d’eau qu’on en approchait. Cet esprit est-il trop mâle, pour vous, lecteur ? Eh bien ! chacun son goût. Laissez-moi la femme qui est l’écho des plus nobles pensées de l’homme. Son regard, comme celui de Roland, savait apercevoir les beautés les plus secrètes de cette nature si merveilleusement belle. Pour elle le paysage d’aujourd’hui n’était plus celui d’hier. Un ciel plus couvert changeait l’aspect de nos landes marécageuses ; des fleurs sauvages fraîchement écloses, le chant de quelque oiseau non encore entendu donnaient de la variété à nos campagnes incultes. Est-ce là une source de plaisirs trop simples pour vous ? Si vous avez besoin des stimulants qu’offrent les grandes villes, c’est possible. Mais pour nous, qui avons à passer toutes nos heures au milieu de ces scènes, c’est quelque chose que d’avoir assez de goût pour ne pas trouver la nature monotone.

À tout ce qu’elle tenait de Roland, mon père avait sagement ajouté assez de savoir tiré des livres pour rendre plus attrayants ces goûts si simples, et pour donner à son esprit cette culture qui développe les plus rares perfections de la beauté et de la bonté, qui fait paraître plus beau ce qui est beau, et meilleur ce qui est bon, en exhaussant le point de vue. Il lui inculqua assez de science pour qu’elle prît plaisir aux travaux intellectuels, mais pas assez pour qu’elle pût empiéter sur la discussion qui est le domaine de l’homme. Mais, quoi qu’il en soit :

Le plus beau des jardins se voit en son regard,
Et le plus plaisant livre est son esprit sans fard.