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je le quittai. Son front est calme ; il n’a plus à rougir maintenant ; et ses lèvres, autrefois douloureusement contractées, sourient avec bonheur. Plus de luttes intérieures, Roland, plus de plaintes. Un coup d’œil me révèle tout cela.

« Papæ » s’écrie mon père, et j’entends son livre tomber de ses mains ; il m’est impossible de lire une ligne. Il arrive demain… demain ! Quand nous arriverions à l’âge de Mathusalem, Kitty, nous ne parviendrions jamais à faire de l’homme un vrai philosophe, lorsque ce pauvre homme est affligé d’un fils bon et aimant."

Mon père se lève et se promène à grands pas. Encore une minute, père, encore une minute, et je suis sur ton cœur. Le temps t’a aussi traité avec douceur, comme il traité tous ceux pour qui les passions ardentes et les soucis du monde n’aiguisent jamais sa faux. Ton large front paraît plus large, car tes cheveux sont plus rares et plus clair-semés ; mais aucune ride ne le sillonne encore.

D’où vient ce léger soupir ?

« Quelle heure est-il au juste, Blanche ?… Avez-vous bien regardé à l’horloge de la tour ?… Oh ! allez et regardez encore une fois.

— Kitty, dit mon père, non-seulement vous avez trois fois demandé l’heure depuis dix minutes, mais encore vous avez mis devant vous ma montre, et le grand chronomètre de Roland, et la vieille horloge hollandaise de la cuisine ; et tout cela s’accorde à vous dire qu’aujourd’hui n’est pas demain.

— Tout cela marche mal, je le sais, répond ma mère avec une douce fermeté ; rien n’a bien marché depuis qu’il est parti. »

Ma mère tire une lettre de sa poche, car j’entends le frôlement du papier. Elle s’approche de la lampe, et j’aperçois sa figure douce, tendre, charmante, belle encore, toujours belle pour moi ; belle comme lorsqu’elle se penchait sur mon oreiller dans la première maladie que je fis étant enfant, ou lorsque nous nous jetions des fleurs sur la pelouse au soleil… Voilà Blanche qui lui parle tout bas ; ma mère se lève tout émue, elle pousse un cri.

« C’est vrai, c’est vrai, ma mère. Ouvrez vos bras, qu’ils me pressent sur votre cœur, comme au temps jadis… Mon père ! Et vous aussi, Roland ! Oh ! quelle joie ! quelle joie !… Je suis à la maison… à la maison jusqu’à la mort ! »