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Ceux que je venais voir étaient instruits de mon arrivée en Angleterre ; mais, d’après ma lettre, ils ne m’attendaient que le lendemain. Je voulais les surprendre, et maintenant, malgré l’impatience qui avait hâté mes pas, je craignais d’entrer…

Roland, déjà lors de mon départ, paraissait plus vieux que son âge. Mon, père, alors au midi de la vie, devait approcher de son déclin. Et ma mère, que je me rappelais si belle (la fraîcheur de son cœur ayant conservé l’aimable coloris de ses joues) je ne pouvais m’habituer à penser qu’elle n’était plus jeune.

Et Blanche, que j’avais laissée enfant, Blanche qui, pendant les longues années de l’exil, avait été ma fidèle correspondante, me racontant tous les petits détails qui font l’éloquence épistolaire ; Blanche, dans les lettres de qui j’avais vu l’intelligence se développer avec l’écriture d’abord enfantine et mal assurée, puis légèrement affermie par les premières grâces d’une main courante, puis rapide, dégagée, facile, et la dernière année enfin à la fois fine et formée, régulière et exempte de tout effort. Mais à mesure qu’elle se perfectionnait dans la calligraphie, je voyais, avec un chagrin mêlé de plaisir, une certaine réserve se répandre sur son style. Les souhaits qu’elle faisait pour mon retour étaient plutôt des messages de famille que des désirs exprimés par Blanche ; les anciens termes de familiarité étaient supprimés ; très-cher Sisty avait fait place à ce froid cher cousin.

Ces lettres, m’arrivant en un pays où les jeunes filles et l’amour avaient été pour moi autant de mythes du passé, des fantômes et des eidola, produits des visions de l’imagination, s’étaient glissées peu à peu dans les recoins les plus secrets de mon cœur. La solitude et la rêverie avaient construit, avec les débris de mon roman du passé, les dômes féeriques de mon roman de l’avenir. Les lettres de ma mère m’avaient toujours entretenu de Blanche, de sa tendre et prévoyante activité, de la bonté de son cœur, de la douceur de son caractère. Dans maint petit tableau du foyer domestique, elle me montrait l’image de Blanche telle que je la désirais, non pas occupée à regarder dans le cristal, mais accompagnant ma mère dans ses visites charitables au village, instruisant les enfants et soignant les vieillards, ou s’exerçant à enluminer d’après un vieux missel de la bibliothèque de mon père, afin de pouvoir faire une surprise à mon oncle en lui présentant un nouvel arbre gé-