Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/528

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vivian, s’inclinant sur sa monture et me mettant la main sur l’épaule. — Mon cher ami, que ne vous dois-je pas ? (Pour cacher son émotion, il hâte le pas de son cheval.) Mais, ne le voyez-vous pas ? à mesure que je comprends mieux le bien, ma conscience devient plus sévère ; plus je connais mon excellent père, plus je désire être ce qu’il voulait que fût son fils. Pensez-vous qu’il n’aurait plus rien à souhaiter s’il me voyait élever du bétail et marchander avec des bouviers ? N’était-ce pas le plus vif désir de son cœur de me voir embrasser la carrière qu’il avait suivie ? Ne vous ai-je pas entendu dire que, sans votre mère, il aurait aussi fait de vous un soldat ? Je n’ai pas de mère, moi ! Si j’amassais des mille et des dix mille dans ce métier vulgaire, cela procurerait-il à mon père la moitié du plaisir qu’il aurait à voir mon nom honorablement mentionné dans une dépêche ?… Non, non. Vous avez refoulé le sang égyptien ; c’est maintenant le sang du soldat qui déborde ! Oh ! que ne donnerais-je pas pour un jour de gloire où j’arriverais à une belle renommée, comme nos pères avant nous ; où des larmes de joie couleraient de ces yeux qui ont tant pleuré ma honte ; où elle aussi, dans le rang élevé qu’elle occupe à côté de son noble mari, elle pourrait dire : « Après tout, son cœur n’était pas si vil ! » Ne raisonnez pas avec moi ; ce serait inutile. Priez plutôt pour qu’il me soit donné d’agir à ma guise : car, je vous le dis, si je suis condamné à rester ici, je pourrai sans doute ne pas murmurer tout haut, je pourrai tourner dans ce cercle étroit de mon devoir, comme la brute qui tourne une roue de moulin ; mais mon cœur dépérira lentement, et vous écrirez bientôt sur la pierre de ma tombe l’épitaphe du pauvre poète dont vous nous avez parlé, et dont la vraie maladie était la soif de gloire : « Ci-gît quelqu’un dont le nom fut écrit sur l’eau. »

Je n’avais rien à répondre. Cette ambition contagieuse faisait courir dans mes veines un sang plus chaud, et précipitait les battements de mon cœur. Au milieu de ces scènes pastorales, à la paisible clarté de la lune, jusque dans les campagnes du nouveau monde, l’ancien monde venait me réclamer pour un de ses enfants, moi grossier habitant du Bocage.

Mais à mesure que nous avancions, l’air à la fois si vif et si doux me remettait en harmonie avec cette paisible nature. Nous voyions nos troupeaux blancs comme la neige dormir à