Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/52

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE IV.

« Ma parole ! monsieur, le comté se perd. Nos opinions ne sont représentées ni dans le parlement ni hors du parlement. Le Mercure du comté a tourné casaque : qu’il soit maudit ! Et maintenant nous n’avons pas un seul journal pour exprimer les opinions des honnêtes gens de ce comté ! »

Ce discours était prononcé à l’occasion d’un des rares dîners que M. et Mme Caxton donnaient aux grands du voisinage ; et celui qui le prononçait n’était rien moins que le squire Rollick de Rollick-Hall, président des sessions trimestrielles.

J’avoue (car on me permit, ce jour-là, pour la première fois, non-seulement de dîner avec les invités, mais encore de rester après les dames, à cause de mon âge et de la promesse que j’avais faite de m’abstenir de tout excès), j’avoue, dis-je, que moi, pauvre innocent, je fus fort en peine de deviner quel intérêt soudain pouvait faire dresser les oreilles à l’oncle Jack, à la mention du journal du comté, comme un cheval de bataille dresse les siennes au son du tambour, et pourquoi il franchit aussitôt l’intervalle qui le séparait du squire Rollick. Mais ce n’était pas à un gamin de mon âge à sonder les intentions d’un homme aussi profond. On ne pêche pas le saumon soupçonneux avec une épingle recourbée garnie d’un ver, comme on pêcherait un vairon ; ou, pour me servir d’une comparaison plus relevée, on ne pouvait pas dire de lui ce que saint Grégoire disait du Jourdain, « qu’un agneau le passerait facilement à gué. »

« Pas un journal du comté pour soutenir les droits de… ! »

Ici mon oncle s’arrêta comme embarrassé et me murmura à l’oreille :

« Quelle est son opinion ?

— Je n’en sais rien, » répondis-je.

L’oncle Jack prit intuitivement dans sa mémoire la phrase qui lui venait à la bouche, et ajouta avec une intonation nasale : « Les droits de nos infortunés semblables ! »