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vez vous imaginer combien leurs Othellos sont susceptibles. Ce sont des maris excellents, il est vrai ; on n’en trouve pas de meilleurs : mais on ferait bien d’y penser deux fois avant d’entreprendre le rôle de Cassio dans le Bocage.

Ah ! voici cette chère créature. Elle remue les couteaux et les fourchettes ; elle étend la nappe, elle apporte le bœuf salé et ce raffinement de luxe si rare en Australie, notre dernier pot de conserves au vinaigre ; elle pose sur la table les produits du jardin et de la basse-cour (peu d’habitants du Bocage en ont d’aussi beaux), et les dampers avec une tasse de thé pour chaque convive. Ni vin, ni bière, ni liqueur ; on les réserve pour l’époque de la tonte.

Nous venons de dire le Benedicite, coutume de la sainte patrie que nous avons conservée, lorsque, Dieu me bénisse ! quel bruit dehors, quel piétinement, quels aboiements de chiens !… Des convives sans doute. Les convives sont toujours les bienvenus dans le Bocage. Peut-être un acheteur de bétail à la recherche de Vivian ; peut-être ce maudit individu dont les moutons se mêlent toujours avec les nôtres. N’importe ! accueil cordial à tout le monde, ami ou ennemi.

La porte s’ouvre. Un, deux, trois étrangers… Des assiettes et des couteaux !… Approchez vos chaises, vous venez juste à temps. Mangez d’abord… et ensuite les nouvelles ! Au moment où les étrangers prennent place à table, une voix se fait entendre en dehors.

« Vous prendrez un soin particulier de ce cheval, jeune homme. Promenez-le un peu. Lavez-lui le dos avec de l’eau salée. Détachez les poches de la selle ; donnez-les-moi… Oh ! je suis sans inquiétude, j’ose le dire ; mais il y a là des papiers importants. La prospérité de la colonie dépend de ces papiers. Que deviendriez-vous tous s’il leur arrivait malheur ? Je frémis d’y penser ! »

Vêtu d’une veste de chasse ornée de boutons dorés sur lesquels se lit une devise dont on a gardé bon souvenir, la tête couverte d’un chapeau en feuille de chou ombrageant une figure comme on en voit rarement dans le Bocage, une figure rasée du matin ; propre, élégant même, l’air aussi respectable que jamais, le bras chargé des poches de sa selle, les narines dilatées aspirant le fumet du dîner, s’avance… l’oncle Jack !