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rougeur hectique qui colorait ses joues hâlées témoignait seule qu’il ne confondait pas avec un visiteur ordinaire celui de qui il avait aidé à sauver la fille. Ce ministre d’État, cet homme puissant, qui disposait des places, des pairies, des grades militaires et des rubans, ne pouvait rien pour le pauvre capitaine à la demi-solde. Devant cette douleur et cette fierté, le conseiller du roi était impuissant. Ce ne fut que lorsque Trévanion se leva pour partir, que l’intention bienveillante qui avait motivé cette visite parut réveiller le vieillard de son abattement et briser la glace de ses manières ; car il accompagna Trévanion jusqu’à la porte, prit et serra ses deux mains, puis revint s’asseoir à sa place. Trévanion me fit signe, et je descendis l’escalier avec lui. Nous entrâmes dans un petit salon désert.

Après quelques remarques sur Roland, remarques pleines de sensibilité et de considération, après une allusion rapide à son fils, pour me dire que jamais le monde ne saurait rien de sa criminelle tentative, Trévanion s’adressa à moi avec une vivacité et des instances dont je fus surpris.

« Après ce qui s’est passé, s’écria-t-il, je ne puis permettre que vous quittiez ainsi l’Angleterre. Ne soyez pas comme votre oncle ; ne me donnez pas à entendre qu’il m’est impossible de m’acquitter envers vous… Non, ce n’est pas ainsi que je veux poser la question. Restez ici, et servez votre pays, nous vous en prions, Ellinor et moi. Parmi toutes les places dont je puis disposer, nous en trouverons bien une qui vous convienne. »

Trévanion parla encore, en termes flatteurs pour moi, des droits que me donnaient ma naissance et ma capacité ; il me traça de la vie politique, de ses honneurs et de ses distinctions, un tableau qui, dans ce moment du moins, m’émut et fit palpiter mon cœur. Mais, même alors (était-ce une fierté déraisonnable ?), je sentis qu’il y avait quelque chose de choquant et d’humiliant dans la pensée de devoir toute ma fortune au père de celle que j’aimais, lorsque je ne pouvais aspirer à sa main ; quelque chose de dégradant dans le sentiment d’être ainsi récompensé d’un service rendu, d’un sacrifice douloureux. Je ne pouvais toutefois alléguer ces raisons ; la générosité et l’éloquence de Trévanion m’accablèrent d’ailleurs au point que je ne pus que balbutier quelques remercîments, en lui promettant de réfléchir et de l’informer du résultat de mes réflexions.