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Mon père prit haleine lentement et promena doucement ses regards de l’un à l’autre, puis, mettant sa main gauche sur ma tête, tandis que de la droite il levait son Érasme vers l’oncle Jack, il dit d’un ton de reproche :

« Voyez combien il est facile de semer dans un jeune cœur la convoitise et l’avidité. Ah ! frère !

— Vous êtes trop sévère, monsieur. Voyez comme le cher enfant baisse la tête. Eh ! c’est l’enthousiasme naturel à son âge, le joyeux espoir nourri par l’imagination, comme dit le poète. Vous n’allez pas, à cause de ce beau garçon, laisser échapper une si certaine occasion de fortune, sans même l’examiner un peu. Car, remarquez-le, vous formez une pépinière de pommiers ; chaque année vous faites de nouvelles greffes et augmentez votre plantation, louant, achetant même, pourquoi pas ? quelques pièces de terre. Mon Dieu ! monsieur, en vingt ans vous pouvez avoir rempli la moitié du comté ; mais mettons que vous vous arrêtiez à 2 000 acres ; eh bien ! le bénéfice net serait de 90 000 liv. par an. Le revenu d’un duc… d’un duc !… et il n’y a qu’à vouloir.

— Mais attendez, dis-je modestement ; les arbres ne grandissent pas en un an. Je me rappelle le jour où notre dernier pommier fut planté, il y a cinq ans ; il avait alors trois ans, et, l’automne dernier, il n’a produit encore qu’un demi-boisseau de pommes.

— Quel garçon intelligent cela nous fait ! c’est une bonne tête. Oh ! il fera honneur à sa grande fortune, frère, dit l’oncle Jack d’un air approbateur. Vous avez raison, mon ami. Mais, en attendant, nous pouvons planter le terrain de groseilliers, d’oignons et de choux, comme on fait dans le pays de Kent. Néanmoins, je crains que nous ne devions renoncer à une partie des bénéfices pour diminuer nos dépenses, attendu que nous ne sommes pas de grands capitalistes. Écoutez donc, Pisistrate… Regardez-le, frère ; malgré l’air simple que vous lui voyez là, je crois qu’il est né avec une cuiller d’argent dans la bouche… Écoutez : passons aux mystères de la spéculation. Votre père achètera les terres sans bruit, et alors presto ! nous lançons un prospectus et nous fondons une compagnie. Des compagnies peuvent attendre cinq ans un dividende ; cependant la valeur des actions augmente tous les ans. Votre père prend, disons-nous, 50 actions de 50 liv. chacune, en ne