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Roland se rappela peut-être alors l’histoire de son ami français ; il ne ferma plus son bureau.

« Ruinez-moi si vous voulez, mais pas de dettes. Il y a de l’argent dans ces tiroirs… Je ne les ferme pas. »

Une pareille confiance eût guéri pour toujours un jeune homme qui aurait eu quelque sentiment d’honneur : l’élève des gitanos ne comprit pas cette délicatesse ; il trouva que c’était une permission toute naturelle, quoique peu gracieuse, de prendre ce qu’il voudrait… et il prit ! Roland vit là un vol, et un vol de la plus grossière espèce ; mais lorsqu’il le déclara à son fils, celui-ci frémit d’indignation, et, dans ce qui avait été un si touchant appel à son honneur, il ne vit plus qu’un piège pour le déshonorer. Bref, ils ne purent se comprendre. Roland défendit à son fils de sortir de la maison ; le jeune homme sortit la nuit même et s’enfuit à l’aventure, pour jouir du monde ou le braver, selon ses propres caprices.

Il serait fastidieux de le suivre pas à pas dans ses diverses tentatives pour arriver à la fortune, que d’ailleurs je ne connais pas toutes. Je laisse ici de côté son vrai nom, qu’il avait volontairement quitté ; et, pour ne pas embarrasser le lecteur par tous les pseudonymes qu’il adopta successivement, je donnerai désormais à mon infortuné cousin le nom sous lequel je le connus d’abord, et je continuerai à le lui donner jusqu’au jour où (Dieu veuille que ce jour arrive bientôt !), corrigé de ses défauts, il pourra reprendre le sien. Ce fut en se joignant à une troupe de comédiens ambulants que Vivian fit la connaissance de Peacock, ce digne homme qui avait plus d’une corde à son arc. Il ne tarda pas à reconnaître l’adresse de Vivian au billard, et il vit plus de chance de faire fortune par ce moyen que par les représentations qu’ils pouvaient donner sur des tréteaux dignes de Thespis. Vivian l’écouta. Ce fut dans la nouveauté de leur liaison que je les rencontrai sur la grande route. S’il faut en croire le récit de Vivian, cette rencontre produisit sur lui un grand et salutaire effet, pour le moment du moins. L’innocence et la simplicité qu’il trouva dans ce jeune inconnu étaient chose nouvelle pour lui ; l’air de contentement et de bonheur qui accompagnait ces qualités l’impressionna par le contraste qu’il offrait avec sa gaieté forcée qui n’était au fond que tristesse. Et ce jeune homme était son cousin !