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avidement les livres de littérature légère qu’il trouva sous sa main, et il y puisa cette espèce de science qu’on rencontre dans les romans et pièces de théâtre, en bien et en mal, selon que drame ou roman élève l’intelligence et ennoblit les passions, ou bien corrompt l’imagination et ravale la nature humaine. Mais de tout ce que Roland désirait faire apprendre à son fils, celui-ci demeura aussi ignorant qu’auparavant. Entre autres malheurs de ce mariage néfaste, la femme de Roland était superstitieuse comme tous les catholiques d’Espagne, et le fils avait mélangé toutes ces superstitions avec celles bien plus lugubres du sombre paganisme des gitanos.

Roland avait choisi un protestant pour précepteur de son fils. Mais ce précepteur n’était protestant que de nom. Il se moquait amèrement, il est vrai, de toutes les superstitions ; mais il était protestant comme un défenseur de la religion de Voltaire dit que ce grand esprit l’eût été, s’il eût vécu dans un pays protestant. Le Français extirpa par le ridicule toutes les superstitions de son élève ; mais il ne laissa à leur place que le scepticisme railleur de l’Encyclopédie, sans lui inculquer cette morale réparatrice commune à toutes les philosophies, mais que malheureusement il faut être philosophe pour comprendre.

Ce précepteur ne se doutait pas du mal qu’il faisait. D’ailleurs il instruisait son élève d’après son propre système, système doux et plausible, très-semblable à celui qu’on nous recommande en Angleterre : « Instruisez l’intelligence, tout le reste suivra naturellement. Enseignez à lire quelque chose, et tout viendra bien. Suivez la tendance de l’esprit de votre élève ; ainsi vous développerez son génie, vous ne le contrecarrerez pas. » Esprit, intelligence, génie ! Belles choses, sans doute ; mais, pour faire l’éducation de l’homme tout entier, il faut faire celle d’autre chose encore. Ce n’est pas faute d’esprit, d’intelligence et de génie, que les Borgia et les Néron ont laissé des noms en horreur à l’humanité. Y avait-il, dans toute cette éducation, une seule leçon qui pût réchauffer le cœur et guider l’âme ?

Ô ma mère ! si ce jeune homme, debout à côté de toi, avait pu apprendre de ta bouche pourquoi la vie nous a été donnée, à quoi elle doit aboutir, et comment le ciel nous est ouvert jour et nuit ! Ô mon père ! si tu avais été son précepteur, non dans