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prudence doit jouer parmi les puissances tutélaires de la vie, Roland commit la faute d’épouser une fille dont la famille lui était inconnue, et du naturel de laquelle il ne connaissait guère qu’une susceptibilité vive et spontanée. Quelques jours après cet imprudent mariage, Roland rejoignit l’armée, et il ne put retourner en Espagne qu’après la bataille décisive de Waterloo.

Mutilé par la perte d’un membre et portant les cicatrices encore toutes fraîches de plusieurs blessures graves, Roland se hâta de rentrer au séjour dont le souvenir l’avait calmé sur son lit de douleur, et qui prit alors la place de ses premiers rêves de renommée. Un fils lui était né durant son absence, un fils qu’il pourrait élever dans l’idée de remplacer un jour son père au service de son pays, de recommencer sur de futurs champs de bataille la carrière romanesque qui avait fait défaut à son antique et chevaleresque ambition. Aussitôt que la nouvelle de cette naissance lui était parvenue, il avait eu soin de se procurer une bonne anglaise, afin que l’enfant pût entendre une voix de la terre paternelle avec les premiers sons des caresses de sa mère. Une parente de Bolt s’était établie en Espagne ; elle consentit à prendre ces fonctions. Quelque naturelle que fût cette conduite en un homme aussi dévoué à l’Angleterre, elle déplut à la sauvage et ardente Ramouna. Elle avait cette jalousie maternelle qui est plus forte dans les esprits non cultivés ; elle avait aussi cette fierté particulière à ses compatriotes de tout rang et de toute condition. Jalousie et fierté furent blessées à la vue de cette bonne anglaise auprès du berceau de l’enfant.

Que Roland, en regagnant son foyer espagnol, fût désappointé dans l’espoir du bonheur qui l’y attendait, c’était l’inévitable résultat d’un pareil mariage ; car, malgré sa brusquerie militaire, Roland avait cette sensibilité raffinée, fastidieuse peut-être, qui est propre aux natures essentiellement poétiques. Lorsque les premières illusions de l’amour se furent évanouies, il ne put plus y avoir dans son noble caractère que peu de sympathie pour une personne séparée de lui par une absence totale d’instruction, par des manières de voir et des usages si différents de ceux de l’Angleterre. Il est probable que ce désappointement fut plus profond qu’il ne l’est d’ordinaire à la suite d’une union mal assortie ; car, au lieu de con-