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compassion tout aussi naturelle pour un amour généreux ex sans espoir ; car c’est ainsi seulement, lady Ellinor, qu’il interpréta le sanglot qui parvint à ses oreilles… Que pensez-vous que fit mon ami ? Votre noble cœur le devine déjà. Il se dit : « Si jamais j’ai le bonheur d’obtenir ce cœur que, malgré la disproportion de nos âges, j’espère encore gagner, je veux montrer combien est entière la confiance que j’ai dans sa pureté et son innocence. Que le roman de la première jeunesse finisse ; que ces deux cœurs si purs se puissent dire un adieu qu’aucune vaine jalousie, aucun bas soupçon ne rempliront d’amertume ! Avec cette pensée que vous, lady Ellinor, vous ne pourrez jamais blâmer, mon ami prit la main de la noble mère, l’attira doucement vers la porte, et, plein de confiance dans le résultat de cette entrevue, il laissa ces deux jeunes cœurs suivre, à l’abri de tout témoin, l’impulsion de l’honneur et du devoir. »

Tout cela fut dit et fait avec une grâce et un sérieux qui nous touchèrent profondément. Le charme ne fut rompu que lorsque la voix eut cessé et que la porte se fut fermée, tellement la parole s’accordait harmonieusement avec l’action.

Ce triste bonheur, après lequel j’avais si ardemment soupiré, m’était donc accordé. Je me trouvais seul avec celle à qui l’honneur et la raison me défendaient, en effet, de dire autre chose qu’un dernier adieu.

Nous fûmes quelque temps avant de nous remettre, avant de sentir que nous étions seuls.

Ô moments que je puis me rappeler aujourd’hui sans tristesse dans un ressouvenir doux et tendre, demeurez toujours saints et cachés dans le plus impénétrable sanctuaire de mon cœur. Oui, quelque confession de faiblesse que nous ayons échangée, nous ne fûmes point indignes de la confiance qui nous permettait cette triste consolation de l’adieu. Aucune de ces banales protestations d’amour, accompagnées de promesses qu’on ne tient jamais, et d’espérances que l’avenir dément, ne vint railler les réalités de la vie qui s’ouvrait devant nous. Pourtant, sur les confins de notre rêve, nous vîmes le jour se lever froidement sur le monde ; et si, pauvres enfants que nous étions encore, nous eûmes peur de la lumière, du moins nous ne blasphémâmes pas contre le soleil, nous ne nous écriâmes pas : « Il y a des ténèbres dans cette aurore. »