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Lord Castleton s’arrêta, car il était ému. Je sentis revenir ma vieille jalousie, mais privée de toute amertume.

« Je ne dis rien, continua le marquis, de la position où Mlle Trévanion se trouve actuellement, sans qu’il y ait de sa faute. Lady Ellinor arrangera tout cela pour le mieux, grâce à sa science du monde et à l’esprit de son sexe. Cependant la position est délicate et demande réflexion… Mais laissons cela tout à fait de côté. Si vous croyez fermement que Mlle Trévanion est perdue pour vous, pouvez-vous vous familiariser avec la pensée qu’elle soit jetée comme un simple zéro dans le compte des grandeurs mondaines d’un politique ambitieux, qu’elle soit mariée à quelque ministre trop affairé pour s’occuper d’elle, ou à quelque duc qui attend sa fortune pour purger ses hypothèques, et que Trévanion ne considère que parce qu’il trouvera en lui un appui contre une cabale ennemie, ou parce que cette alliance lui assurera la prépondérance dans le cabinet ? Soyez certain que telle est la plus probable destinée de Fanny, ou plutôt que c’est le commencement d’une destinée plus triste encore. Or, je vous dis que celui qui épousera Fanny Trévanion ne devrait avoir d’autre objet, pendant les deux ou trois premières années de son mariage, que de corriger ses défauts et développer ses qualités. Croyez-en quelqu’un qui a payé trop cher, hélas ! la connaissance qu’il a des femmes ! le caractère de Fanny n’est pas encore formé… Eh bien ! donc, Fanny étant perdue pour vous, votre généreux amour souffrirait-il éternellement à l’idée qu’elle est devenue le partage de quelqu’un qui connaît du moins sa responsabilité et qui rachètera sa vie, vainement gaspillée jusqu’à ce jour, par de constants efforts pour remplir ses devoirs ?… Pouvez-vous prendre encore et serrer cette main, quoique ce soit celle d’un rival ?

— Milord, de vous à moi c’est là un honneur que…

— Vous ne voulez pas ma main ? Alors, croyez-moi, ce ne sera pas moi qui ferai ainsi souffrir votre cœur. »

Touché, pénétré, attendri d’une si grande générosité de la part d’un homme qui pouvait aspirer à tout, vis-à-vis de quelqu’un de mon âge et de ma condition, je serrai cette noble main en la portant presque à mes lèvres, marque de respect qui n’aurait été indigne ni de lui ni de moi. Mais un instinct de modestie naturelle lui fit retirer doucement sa main. Je