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s’il eût prié tout bas. Il s’arrêta ensuite, étendit les mains sur la tête de son fils et dit en détournant son visage :

« Je révoque ma malédiction. Prie ton Dieu qu’il te pardonne ! »

Il se défiait sans doute de lui-même, car il fit un violent effort et se précipita hors de la chambre.

Nous le suivîmes en silence. Lorsque nous fûmes arrivés au bout du corridor, la porte de la chambre d’où nous sortions se ferma avec un bruit sinistre.

En entendant ce bruit, j’eus un sentiment si vif de la terrible solitude sur laquelle cette porte s’était fermée, une si grande appréhension de ce que d’ardentes passions pouvaient suggérer dans une aussi triste position, que je m’arrêtai instinctivement. Je retournai en courant vers la chambre. La serrure ayant déjà été forcée, aucune barrière ne s’opposa à mon entrée. Je m’avançai. Quel spectacle ! Ceux-là seuls pourront s’en faire une idée, qui auront été témoins d’une douleur que la raison et la conscience n’ont pu ni calmer ni consoler.

Cette douleur nous apprend ce que serait la terre si l’homme était abandonné à ses passions, et si le Hasard de l’athée régnait seul dans un ciel impitoyable. L’orgueil humilié dans la poussière ; l’ambition brisée en morceaux ; l’amour, ou ce qu’on prend pour l’amour, réduit en cendres ; la vie à son début arrachée aux liens les plus sacrés, abandonnée de celui qui est son véritable guide ; la honte ne cherchant que vengeance ; le remords ne sachant pas prier : tout, tout cela était confondu et pourtant distinct dans ce terrible spectacle du fils coupable.

Et je n’ai compté encore que vingt ans, et mon cœur s’est attendri à la douce chaleur du foyer domestique, et j’ai aimé ce jeune homme alors qu’il n’était encore qu’un étranger pour moi !… Et voilà qu’il est le fils de Roland ! À la vue de cette douleur, j’oubliai tout le reste. Je me jetai par terre à côté de ce corps qui se tordait là ; j’étreignis dans mes bras cette poitrine qui me repoussait en vain, et je dis tout bas : « Consolez-vous, consolez-vous ; la vie est longue. Vous rachèterez le passé, vous effacerez cette tache, et votre père vous bénira encore ! »