Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À droite de la maison, l’enclos contenait une petite pelouse, un ermitage entouré de lauriers, un bassin carré, une modeste serre et une demi-douzaine de plates-bandes de résédas, d’héliotropes, de roses, d’œillets barbus et autres. À gauche s’étendait le potager, abrité par des espaliers qui produisaient les meilleures pommes du voisinage, et sillonné par trois sentiers tortueux et sablés, dont le plus reculé avait pour limite un mur exposé au midi, et contre lequel mûrissaient au soleil des pêches, des poires et des brugnons dont je me rappelle encore la saveur délicieuse. Ce sentier était la promenade habituelle de mon père. Il le parcourait les jours de beau temps, un livre à la main, s’arrêtant souvent, le cher homme ! pour prendre une note au crayon, gesticuler, ou parler tout seul. Lorsqu’il n’était pas dans son cabinet, ma mère était sûre de le trouver là. Dans ses déambulations, comme il appelait ses promenades, il avait ordinairement un compagnon si extraordinaire, qu’en le spécifiant je m’attends à une explosion de rires incrédules ou méprisants. Cependant j’atteste et je proteste que c’est la stricte vérité, et non une exagération de romancier.

Il était arrivé, un jour, que ma mère avait entraîné M. Caxton à aller au marché avec elle. En passant sur la pelouse, ils trouvèrent plusieurs petits garçons occupés à lapider un canard estropié. Ce canard devait être porté au marché, lorsqu’on découvrit qu’il était non-seulement estropié, mais encore dyspepsique ; peut-être que le pauvre animal avait avalé quelque herbe nuisible à son appareil ganglionique. Quoi qu’il en soit, la mère de famille avait déclaré que le canard n’était bon à rien ; et, sur la demande de ses enfants, elle le leur avait abandonné, pour qu’en s’amusant avec lui ils ne songeassent pas à jouer quelque mauvais tour. Ma mère dit qu’elle n’avait jamais auparavant vu son mari dans un tel état d’irritation. Il dispersa les gamins, délivra le canard, l’emporta à la maison, le mit dans un panier près du feu, le nourrit et le médicamenta jusqu’à ce qu’il fût guéri. On le lâcha alors dans le bassin carré. Mais, ô surprise ! le canard reconnut son bienfaiteur ; et toutes les fois que mon père dépassait le seuil de la porte, il sortait du bassin en battant des ailes, gagnait la pelouse, et clopinait après lui jusqu’au sentier des pêches. Je dis clopinait, parce qu’il ne recouvra jamais complètement l’usage