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pour lady Ellinor ; et mon esprit avait été désagréablement affecté de ce qu’elle s’était jouée du profond amour d’Austin et de l’impétueuse passion de Roland. La conversation que je venais d’avoir me permettait de la juger avec plus de justice, de voir qu’elle avait réellement partagé l’affection inspirée par elle à l’homme d’étude. Seulement l’ambition avait été plus puissante que l’amour ; et, quoique cette ambition fût peut-être en dehors du caractère ordinaire de la femme, il n’y avait rien en elle de vulgaire ni de sordide. Je trouvai aussi dans les paroles de lady Ellinor l’explication de l’illusion de Roland ; il avait pu croire qu’elle s’intéressait à lui, alors qu’elle n’avait vu, dans l’énergie sauvage de l’aîné des deux frères, qu’un moyen de stimuler les facultés plus sereines du cadet. Dans la comète étrange qui passait devant elle, elle ne cherchait qu’un point d’appui pour le levier qui devait mettre en mouvement l’étoile fixe. Était-il possible de ne pas respecter la femme qui, ne s’étant pas mariée précisément par amour, mais ayant enchaîné sa destinée à un homme digne d’elle, s’était aussitôt dévouée à lui avec la même tendresse que s’il avait été le héros de son premier roman, l’objet de ses premières affections ? Si l’enfant ne passait qu’après le mari, si elle ne regardait le sort de cette enfant que comme un moyen d’avancer les grandes destinées de Trévanion, l’on ne pouvait pas, tout en reconnaissant l’erreur de ce dévouement conjugal, ne pas admirer la femme, même lorsqu’on condamnait la mère.

Laissant là ces réflexions, je sentis un frémissement de joie égoïste comme celle de tout amoureux, au milieu de la douleur qu’excitait la pensée de ne plus revoir Fanny. Était-il vrai, ainsi que lady Ellinor l’avait délicatement insinué, était-il vrai que Fanny conservât encore un souvenir de moi, et qu’une courte entrevue, un dernier adieu, pût troubler trop dangereusement sa tranquillité ? Ah ! c’était une pensée qu’il ne convenait pas de nourrir en moi.

Qu’est-ce que lady Ellinor avait pu apprendre relativement à Roland et à son fils ? Était-il possible que celui qu’on croyait perdu vécût encore ? Tout en me faisant ces questions, j’arrivai à notre logement, et je vis devant moi le capitaine occupé à inspecter divers objets nécessaires à celui qui cherche la fortune en Australie. Le vieux soldat était debout près de la fenêtre, examinant attentivement la trempe d’une grande et