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femme ne peut la satisfaire qu’en l’incarnant dans un autre. Ce ne fut pas la fortune, ce ne fut pas le rang qui m’attira vers Albert Trévanion ; ce fut le caractère qui peut se passer de fortune et qui commande au rang. Peut-être même, continua lady Ellinor d’une voix un peu tremblante, peut-être ai-je vu dans ma jeunesse, avant de connaître Trévanion, quelqu’un… » Elle s’arrêta un moment, puis acheva précipitamment : « Quelqu’un à qui il ne manquait que l’ambition pour réaliser mon idéal. Peut-être, lorsque je me mariai (l’on dit que je fis un mariage d’amour), peut-être aimais-je beaucoup moins avec le cœur qu’avec la tête. Je puis le dire à présent que mon cœur ne bat plus que pour Celui dont j’ai partagé les aspirations, les projets et les fatigues, pour celui dont je partage aujourd’hui le triomphe et qui réalise les visions de ma jeunesse. » Un éclair jaillit de nouveau des yeux noirs de cette noble fille du monde, type superbe de cette contradiction morale : une femme ambitieuse.

« Je ne puis vous dire, reprit lady Ellinor en adoucissant sa voix, combien je fus contente lorsque vous vîntes demeurer chez nous. Votre père vous a peut-être parlé de moi et de la manière dont nous fîmes connaissance… » Lady Ellinor s’arrêta brusquement pour m’examiner. Je gardai le silence.

« Peut-être aussi m’a-t-il blâmée, ajouta-t-elle en rougissant.

— Il ne vous a jamais blâmée, lady Ellinor.

— Il avait le droit de me blâmer ; mais je doute que son blâme fût tombé sur ce qui le méritait. Jamais pourtant il n’aurait pu me faire l’injure que me fit votre oncle, lorsque, il y a longtemps, M. de Caxton m’accusa, dans une lettre dont l’amertume désarma toute ma colère, de m’être jouée d’Austin et de lui-même… Lui du moins n’avait pas le droit de m’adresser ce reproche, continua lady Ellinor avec un sourire de sa bouche hautaine ; car si je m’intéressais à la soif de gloire romanesque qui le dévorait, ce fut uniquement dans l’espoir que ce qui rendait l’un des frères si inquiet finirait par éveiller en l’autre une ambition digne de son intelligence, une ambition qui eût excité son énergie. Mais c’est une vieille histoire de folies et d’illusions qui n’existent plus à présent. Tout ce que je veux dire, c’est qu’il m’a toujours semblé, en