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sulterai, je serai très-fâché si je vous vois triste, chagrine ou assise toute seule ; car, il faut que vous le sachiez, Blanche, cela annoncerait un caractère égoïste. Dieu nous a faits, non pour contempler des tableaux dans le cristal, ni pour imaginer des choses qui ne sont pas, ni pour nous désoler dans la solitude, ni pour nous affliger de ce que nous ne pouvons changer ; mais pour être alertes et actifs, et pour donner du bonheur à notre prochain. Or, Blanche, voyez quelle tâche je vais vous léguer : vous devrez me remplacer auprès de tous ceux que je quitte ; vous devrez apporter un rayon de soleil partout où passeront vos pas timides et doux ; soit à votre père, quand vous le verrez froncer les sourcils et se croiser les bras (et je dois dire que vous parvenez toujours à l’égayer) ; soit au mien, lorsque le volume s’échappera de ses mains, et qu’il arpentera la chambre d’un air inquiet en se parlant à lui-même. Alors il faudra vous glisser auprès de lui, mettre votre main dans la sienne, le ramener à ses livres et lui murmurer tout bas : « Que dira Sisty si, à son retour, son jeune frère, le grand ouvrage, n’est pas arrivé au terme de sa croissance ? » Et ma pauvre mère, Blanche !… ah ! comment vous conseiller ici ? où trouver les moyens de la consoler ? Seulement, Blanche, insinuez-vous dans son cœur, et soyez une fille pour elle… mais pour remplir cette triple tâche, il ne faudra pas rester à contempler des images dans le cristal ; me comprenez-vous ?

— Oh, oui ! répondit Blanche en levant ses yeux d’où coulaient les larmes, et en croisant résolûment ses bras sur sa poitrine.

— Et voyez, ajoutai-je, tandis que nous sommes assis tous deux dans ce tranquille cimetière, à nous encourager aux devoirs et aux soins de la vie ; voyez, Blanche, comme les étoiles se lèvent l’une après l’autre pour nous sourire… Car ces orbes glorieux ont aussi leur tâche à remplir. Les choses semblent se rapprocher de Dieu en proportion de ce qu’il y a en elles de vitalité et de mouvement. De toutes choses, la moins inerte et la moins engourdie devrait être l’âme humaine. Comme le gazon pousse sur les tombes elles-mêmes, sa croissance est verte et rapide… moins verte et moins rapide cependant, ma chère Blanche, que l’espérance et la consolation au milieu des afflictions des hommes. »