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Pisistrate. — Je ne pense pas, Blanche ; ou, si je pensais, ma pensée s’est enfuie au moindre effort pour la saisir ou l’arrêter.

Blanche (après un moment de silence). — Je sais ce que vous voulez dire. La même chose m’arrive souvent… très-souvent, quand je suis assise toute seule et silencieuse. C’est comme dans cette histoire que Primmins nous racontait l’autre soir. Il y avait dans son village une femme qui voyait les personnes et les choses dans un morceau de cristal pas plus grand que ma main[1] ; elle les y voyait passer de grandeur naturelle… mais ce n’étaient que des tableaux dans le cristal. Depuis que j’ai entendu cette histoire, quand ma tante me demande à quoi je pense, j’ai toujours envie de lui dire : « Je ne pense pas, je vois des tableaux dans le cristal ! »

Pisistrate. — Contez cela à mon père ; il en sera enchanté. Il y a là plus de philosophie que vous ne pensez, Blanche. Car il y a eu des sages qui ont cru que le monde entier avec son orgueil, ses pompes et toutes ses splendeurs, n’était qu’une image fantastique, un tableau dans le cristal.

Blanche. — Et je vous verrai, je vous verrai à côté de moi, tels que nous sommes ici, et cette étoile qui vient de se lever là-bas, je verrai tout cela dans mon cristal quand vous serez parti… parti, cousin !

Et Blanche baissa la tête.

Il y avait quelque chose de si calme et de si profond dans la tendresse de cette pauvre enfant sans mère, qu’on n’en était pas affecté superficiellement, comme on l’est de l’amitié bruyante et momentanée d’un enfant auprès de qui nous savons que le premier joujou nous remplacera. Je baisai la joue pâle de ma petite cousine et lui dis :

« Moi aussi, Blanche, j’ai mon cristal ; et, quand je le con-

  1. Dans les villages retirés, à l’ouest de l’Angleterre, la croyance qu’on peut voir les absents dans un morceau de cristal est, ou était encore il y a peu d’années, une superstition assez commune. J’ai vu plus d’un de ces miroirs magiques, que Spencer a si bien décrits. Ils sont à peu près de la grosseur et de la forme d’un œuf de cygne. Mais ce n’est pas tout le monde qui peut voir dans ces cristaux ; comme la seconde vue, c’est un don particulier. Depuis que cette note a été écrite pour la première édition de ce livre, les cristaux et ceux qui voient dans les cristaux sont devenus très-familiers aux personnes qui s’occupent des phénomènes attribués à la clairvoyance mesmérique. (Note de l’édition de 1857).