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tastiques. De grands peupliers sans feuilles, plantés en ligne régulière dans le terrain bas qui sépare le cimetière de la colline où trône la vieille tour, dressaient distinctement en l’air leurs cimes pointues. Mais les ombres tombaient plus pesantes et plus épaisses sur la haie toujours verte qui borde le cimetière, de sorte que ses contours étaient vagues et confus. Il y avait quelque chose de grave dans ce sombre silence, qui n’était rompu que lorsqu’une grive s’échappait des buissons ; et alors les épaisses feuilles des lauriers s’agitaient comme malgré elles pour rentrer aussitôt dans leur rigide repos. Il règne une certaine mélancolie dans les premières soirées du printemps, et c’est de toutes les influences de la nature la plus universellement reconnue, la plus difficile à expliquer. L’agitation muette de la vie qui renaît, et qui ne se trahit pas encore par les boutons et les fleurs, mais seulement par une plus aimable transparence de l’air, par la durée un peu plus longue du jour qui grandit lentement, par la fraîcheur plus délicate et plus balsamique du crépuscule, par un accent plus gai quoique encore inquiet dans la voix des oiseaux lorsqu’ils se réfugient dans leurs nids ; le vague sentiment qui domine ce silence encore revêtu extérieurement de la triste stérilité de l’hiver, et qui nous dit que sous cette livrée de la mort s’agite un principe de vie travaillant sans relâche à renouveler la jeunesse du monde, à parer de feuilles et de fleurs les squelettes des choses : tous ces messages du cœur de la nature au cœur de l’homme peuvent bien nous affecter et nous émouvoir. Mais pourquoi nous rendent-ils mélancoliques ? Nulle pensée ne surgit en nous pour relier et expliquer ces douces voix qui nous parlent tout bas. Non, ce n’est pas la pensée qui répond et qui raisonne ; c’est le sentiment qui entend et qui rêve. N’examine pas, ô enfant de l’homme, n’examine pas cette mystérieuse mélancolie avec les yeux sévères de ta raison ; tu ne peux l’empaler sur les pointes de ta logique épineuse, et ce ne sont pas les problèmes que tu as étudiés à l’école qui t’apprendront à décrire son cercle enchanté. Placé toi-même sur les limites de deux mondes, celui des morts et celui des vivants, prête l’oreille à ces accents, et incline ta raison devant les ombres qui s’élèvent, au printemps, du sein de ces ténébreuses limites.

Blanche (à demi-voix). — À quoi pensez-vous ? parlez, je vous prie.