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naturellement habituer mes parents à l’idée de notre séparation. Je cherchais aussi dans ma fertile imagination tous les moyens de les distraire et de compenser mon absence. D’abord, dans l’intérêt de Blanche, de Roland et de ma mère, j’amenai le capitaine à sanctionner, non sans répugnance, la proposition que sa belle-sœur lui avait faite de confondre leurs revenus et leurs dépenses, sans regarder qui apportait la plus forte somme à l’association. Je lui représentai que, s’il ne faisait ce sacrifice de son orgueil, ma mère n’aurait aucune de ces petites jouissances de ménage qui sont si chères aux femmes ; que, toutes relations étant impossibles avec le voisinage, elle trouverait le temps terriblement long, et n’aurait d’autre ressource que de se désoler en rêvant à son fils absent. Je lui dis franchement que, s’il persistait dans ce faux orgueil, j’engagerais mon père à quitter la tour. Ces représentations aboutirent. Déjà l’hospitalité avait commencé dans la vieille salle ; ma mère était devenue le centre d’un groupe de voisines dont les commérages l’amusaient ; de joyeux enfants avaient déridé le front de Blanche, et le capitaine lui-même était plus sociable et plus joyeux. Je m’occupai ensuite d’engager mon père à achever le grand ouvrage.

« Ah ! donnez un motif à mon travail, une récompense à mon industrie. Faites que je puisse me dire à chaque plaisir coûteux qui viendra me tenter : « Non, non ; je veux économiser pour le grand ouvrage ! » Et le souvenir du père préservera le fils de toute erreur. Faites attention, père, que M. Trévanion m’avait offert le prêt de quinze cents livres nécessaires pour commencer, et que vous vous y êtes généreusement opposé en me disant aussitôt : « Non, il ne faut pas débuter dans la vie courbé sous le poids d’une dette. » J’ai reconnu que vous aviez raison, et j’ai cédé, cédé avec d’autant plus de gratitude que je ne pouvais accepter pareil service du père de Mlle Trévanion, sans perdre quelque chose de la juste fierté de l’homme. C’est pourquoi j’ai accepté de vous cette somme. Elle eût presque suffi à placer pour toujours dans le monde votre second et plus digne enfant. Laissez-moi rembourser cette dette à cet enfant, ou je refuse l’argent. Consentez que je le garde comme un dépôt appartenant au grand ouvrage ; et promettez-moi que le grand ouvrage sera prêt quand votre fils reviendra vous rendre compte du talent que vous lui avez confié. »