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pas de moi. Je retins mon haleine, je le laissai s’avancer à une certaine distance, et je me glissai suivant une ligne oblique de manière à lui couper la retraite ; puis… quel bond ! je lui mis la main sur l’épaule ; mais brr, brr ! jamais anguille ne fut aussi glissante ! Il m’échappa comme une chose immatérielle et se mit à courir à travers les landes, avec une vitesse qui aurait bien défié tous nos lourdauds, car c’est une race dont les mollets sont généralement absorbés par les gros clous des semelles de leurs souliers. Mais l’institut hellénique, avec son gymnase classique, avait habitué ses élèves à tous les exercices du corps ; et, quoique Feu-follet fût agile pour un paysan, il ne pouvait distancer à la course un jeune homme qui avait passé son enfance à jouer aux barres, à la crosse et au diable boiteux. Je l’atteignis à la fin et le réduisis aux abois.

« Arrière ! dit-il haletant, en tournant contre moi le canon de son fusil ; il est chargé.

— Oui, répliquai-je ; mais, quoique vous soyez un hardi braconnier, vous n’oseriez faire feu sur votre semblable. Donnez-moi ce fusil à l’instant. »

Mon allocution le surprit ; il ne fit pas feu. D’un coup de bâton je relevai le canon et nous en vînmes aux mains. Notre lutte était serrée, et, pendant que nous nous débattions, le coup partit tout seul. Mon adversaire lâcha prise.

« Seigneur, ayez pitié de moi ; je ne vous ai pas blessé ! dit-il d’une voix brisée.

— Non, mon brave, répondis-je ; et maintenant jetons-là fusil et bâton, et vidons notre querelle en vrais Anglais ; ou bien asseyons-nous et causons de notre affaire en amis. »

Feu-follet se gratta la tête en riant.

« Eh bien ! vous faites un fier original ! » dit-il.

Le braconnier laissa tomber son fusil et s’assit.

Nous causâmes de l’affaire, et j’obtins de Peterson la promesse de respecter désormais la réserve. Là-dessus nous devînmes si bons amis qu’il m’accompagna à la maison et m’offrit même, timidement et en s’excusant, les cinq faisans qu’il avait tués. Depuis ce temps je recherchai sa société. C’était un jeune homme au-dessous de vingt-quatre ans, qui s’était mis à braconner parce que cela l’amusait, et parce qu’il avait une idée confuse que le braconnage était permis par la nature. Je reconnus bientôt qu’il était né pour quelque chose de mieux