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Quelle chance ! Ce grand shibboleth de sa philosophie ne lui faisait défaut qu’à l’aspect d’un livre ouvert. Je ne crois pas qu’à cette époque Don Quichotte même lui eût paru risible. Cet enjouement n’était pas de l’insensibilité : jamais meilleur cœur ne battit dans poitrine humaine ; mais il battait certainement une mesure étrange, une sorte de tarentelle qui le faisait danser sans cesse ; aussi était-il un de ces bons enfants pleins d’obligeance qui ne sont jamais en repos et ne laissent jamais de repos aux autres, quand cela dépend d’eux. Mais le grand défaut de Guy, dans ce monde prévoyant, c’était son incontinence d’argent. Si vous aviez fait couler, le matin, un fleuve d’or dans ses poches, à midi elles auraient été aussi arides que le Grand-Sahara. Ce qu’il faisait de l’argent était un mystère pour lui comme pour tous les autres. Son père me dit dans une de ses lettres qu’il l’avait vu pourchasser des moineaux à coups de demi-couronnes ! Qu’un pareil jeune homme ne pût venir à bien en Angleterre, cela semblait parfaitement clair. Pourtant on raconte de plusieurs grands hommes, qui n’ont pas fini leurs jours à l’hôpital, qu’ils furent également incapables de garder l’argent. Lorsqu’il n’avait rien d’autre à donner, Schiller donnait l’habit qu’il avait sur le dos, et Goldsmith, les couvertures de son lit. Des mains amies croyaient devoir vider les poches de Beethoven avant de le laisser sortir de chez lui. De grands héros, qui ne se sont pas fait scrupule de voler le monde entier, ont été tout aussi prodigues que de pauvres poètes et de pauvres musiciens. Alexandre, en faisant le partage du butin, ne gardait pour lui que l’espérance. Quant à Jules César, il devait deux millions lorsqu’il jeta sa dernière demi-couronne aux moineaux de la Gaule. Encouragé par ces illustres exemples, je ne perdis pas espoir. D’ailleurs Guy Bolding, connaissant bien son infirmité, était très-satisfait de l’arrangement qui me faisait trésorier de son capital ; et il m’avait même prié de ne jamais laisser son argent lui tomber sous la main, dans aucune circonstance, et quelque instamment qu’il m’en demandât, Bref, je parvins à gagner un grand ascendant sur cette nature simple, généreuse et insouciante. Par un appel adroit à ses affections, en lui parlant de son père qui avait fait pour lui tant de sacrifices restés inutiles, et de sa petite sœur dont la dot se trouvait réduite de moitié, par suite des dettes qu’il avait contractées à l’Univer-