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je devais administrer le capital, à venir nous visiter. Trévanion se rendit à ma demande, et bientôt arriva un grand gaillard d’un peu plus de six pieds de haut[1], répondant au nom de Guy Bolding. Il était vêtu d’une veste de chasse, avec un sifflet à la boutonnière, de culottes et de guêtres grises, et d’un gilet garni de toutes sortes de poches secrètes. Guy Bolding avait passé un an et demi à Oxford, et il y avait à peine un marchand de cette ville dans les livres duquel il n’eût réussi à se glisser.

Son père fut obligé de le retirer de l’université, où il avait déjà eu l’honneur d’être plumé à son premier examen ; et quand on demanda au jeune homme à quelle profession il était propre : « Je pourrais bien faire une voiture ! » répondit-il avec la fierté d’un homme sûr de lui-même. Désespéré, son père, qui devait son bénéfice à Trévanion, demanda l’avis de cet homme d’État, et ce fut cet avis qui me donna un compagnon d’émigration.

Mon premier sentiment, lorsque je saluai le jeune homme, fut certes un profond désappointement et une forte répugnance. Mais j’avais pris la résolution de ne pas être trop difficile ; et, comme j’avais l’heureux talent de me faire à tous les caractères (talent sans lequel on fait mieux de ne pas chercher son aimant dans la grande terre d’Australasie), je réussis, avant la fin de la première semaine, à établir entre nous tant de points de sympathie, que nous devînmes les meilleurs amis du monde. Vraiment c’eût été ma faute, si cela ne fût pas arrivé ; car Guy Bolding, avec tous ses défauts, était une de ces excellentes créatures qui ne sont les ennemies que d’elles-mêmes. Sa bonne humeur était inépuisable. Ni fatigue ni privation ne la contrariaient. Il avait une exclamation : Quelle chance ! qui lui venait toujours à la bouche avec un éclat de rire, alors qu’un autre aurait pesté et gémi. Si nous nous égarions dans ces vastes landes privées de tout chemin, si nous manquions le dîner quand nous étions à demi morts de faim, Guy se frottait les mains (des mains qui eussent assommé un bœuf) et s’écriait en riant. Quelle chance ! Si nous nous enfoncions dans quelque fondrière, si nous étions surpris par l’orage, si les poulains sauvages que nous essayions de dompter nous lançaient la tête en avant, la seule élégie de Guy Bolding, c’était :

  1. Six pieds anglais ne font que 1m,82.