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« Ne m’avez-vous pas dit un jour, mère, que vous éprouviez comme un remords de voir le génie de mon père se perdre ainsi dans le silence ? N’accusiez-vous pas presque le bonheur que vous lui donniez d’étouffer son ambition dans le contentement de son cœur ? N’avez-vous pas senti un but nouveau dans la vie, lorsque cette ambition se réveilla enfin, et que vous crûtes entendre les applaudissements du monde autour de la cellule de votre savant ? N’avez-vous pas partagé les visions qu’évoquait votre frère, et ne vous êtes-vous pas écriée : « Oh ! si mon frère pouvait servir à le grandir aux yeux du monde ! » et lorsqu’à vous sembla que nous avions trouvé le chemin de la réputation et de la fortune, n’avez-vous pas dit en sanglotant dans la plénitude de votre cœur : « C’est mon frère qui remboursera à son fils tout… tout ce à quoi il a renoncé pour moi ? »

— Je ne puis entendre cela, Sisty !… cessez, cessez !

— Non ; car je vois que vous ne me comprenez pas encore. Ne sera-ce pas mieux encore, si votre fils, à vous, restitue à votre Austin tout ce qu’il a perdu, n’importe de quelle manière ? Si par votre fils, mère, vous faites réellement connaître au monde le génie de votre mari ; si vous rendez le ressort à son esprit, la gloire à ses travaux ; si vous restaurez même ce nom si vanté des ancêtres, qui est la gloire pour notre pauvre Roland, privé de son fils ; si votre fils relève ce que les générations ont laissé tomber en décadence, et rebâtit du milieu de la poussière cette maison où vous êtes entrée comme un doux ange gardien ; ah ! mère, si tout cela se fait, ce sera votre ouvrage… car, à moins que vous ne puissiez partager mon ambition, sécher vos larmes, me dire : Partez, d’une voix joyeuse et la figure souriante, je sens que tout mon courage va se fondre, et que je vais dire encore une fois : « Je ne puis vous quitter ! »

Ici ma mère me serra dans ses bras, et nous pleurâmes tous deux sans pouvoir dire un mot ; mais nous étions heureux tous deux.