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point satisfait ma curiosité, s’il faut appeler d’un nom aussi sévère l’intérêt puissant qui m’avait absorbé ! Je cherchai Blanche des yeux ; elle s’était retirée près de la porte, et là, elle pleurait les mains sur les yeux. Lorsque je me glissai vers elle, mes regards rencontrèrent un livre placé sur une chaise, près de la fenêtre et à côté de ces reliques d’une enfance jadis pure et sereine. Aux antiques fermoirs d’argent, je reconnus la bible de Roland. Il me sembla alors que je m’étais rendu coupable de profanation en pénétrant si légèrement dans cette retraite. J’emmenai Blanche ; nous redescendîmes sans bruit l’escalier, et ce ne fut qu’après être arrivés à notre endroit favori, au milieu d’un amas de ruines, sur le monticule où se rendait la justice féodale, que je cherchai à essuyer ses larmes par un baiser, et à lui en demander la cause.

« Mon pauvre frère ! dit Blanche en sanglotant. Cela n’a pu être qu’à lui, et nous ne le reverrons plus jamais, jamais !… Et la bible de mon pauvre papa, qu’il lit quand il est bien, bien triste !… Je n’ai pas assez pleuré lorsque mon frère est mort… À présent, je sais mieux ce que c’est que la mort… Pauvre papa, pauvre papa ! N’allez pas mourir aussi, Sisty ! »

Il ne fut plus question de courir après les papillons, ce matin-là, et il me fallut longtemps pour consoler Blanche. Durant plusieurs jours, elle porta les traces de son abattement dans ses deux yeux ; et souvent elle me demanda en soupirant : « Ne croyez-vous pas que j’ai bien mal fait de vous conduire là-haut ? » Pauvre petite Blanche ! vraie fille d’Ève, elle ne voulait pas me laisser ma part de la faute ; elle prétendait l’assumer tout entière, conformément à la justice primitive d’Adam : « La femme m’a tenté, et j’ai mangé. »

Et depuis ce jour, Blanche paraît aimer Roland plus que jamais ; elle m’abandonne comparativement pour se nicher près de lui, jusqu’à ce qu’il lève les yeux et lui dise : « Mon enfant, vous êtes pâle ; allez courir après les papillons. » Et c’est à lui, non plus à moi, qu’elle dit : « Venez aussi ! » l’entraînant au soleil d’une main qui ne veut pas lâcher prise.

De toute la race de Roland, cet Herbert de Caxton fut le meilleur et le plus brave. Pourtant mon oncle ne m’avait jamais nommé cet ancêtre ; il n’avait jamais comparé aucun de ses aïeux à ce douteux et mythique sir William. Je me rappelai alors qu’en parcourant la généalogie, j’avais été frappé de ce nom d’Her-