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qu’il sabrait pour son amusement particulier). Il y a un officier, ou domestique de la maison impériale, dont la fonction est d’appeler ces cyprinidæ russes à dîner en sonnant une cloche. Un instant après, on peut voir l’empereur et l’impératrice, avec toute leur suite de gentilshommes et de dames d’honneur, venir dans leurs carrosses pour être témoins du repas des cyprinidæ. Vous voyez donc, Bolt, que ce serait un procédé républicain et jacobin de faire cuire à l’étuvée des membres d’une famille si intimement alliée à la royauté !

— Mon Dieu monsieur, je suis bien aise que vous me l’ayez dit. J’aurais dû savoir que ce sont des poissons nobles ; ils sont très-réservés… comme toutes les personnes réellement de qualité. »

Mon père sourit et se frotta doucement les mains ; il avait gagné la partie, et désormais les cyprinidæ de la section des malacoptérygiens abdominaux furent aussi sacrés aux yeux de Bolt que les chats et les ichneumons l’avaient été aux yeux des prêtres de Thèbes.

Mon pauvre père ! avec quelle vraie et simple philosophie tu t’accommodas au plus grand changement qu’eût connu ta vie innocente et tranquille, depuis qu’elle avait dépassé la période courte et brûlante des passions ! Elle était perdue, la demeure que t’avaient rendue si chère tant de silencieuses victoires de l’âme, tant de muettes histoires du cœur ; car le savant seul connaît tous les charmes de la monotonie, des vieux souvenirs, des vieilles habitudes, qui sont comme l’horloge des jours paisibles. Après tout, la demeure peut être remplacée (ton cœur sait partout se construire une demeure), et la vieille tour peut tenir lieu de la maison de briques ; la promenade à côté du vivier peut devenir aussi chère que celle qui longeait le mur où les pêchers s’étendaient au soleil. Mais qu’est-ce qui remplacera pour toi le beau rêve de ton innocente ambition, cet ange ailé qui a illuminé ton âge mûr, à l’heure qui s’écoule entre le midi et le coucher ? Qui remplacera pour toi le magnum opus, le grand ouvrage, ce bel arbre aux vastes rameaux isolé au milieu d’un paysage uniforme, et qui est maintenant arraché par les racines ? L’oxygène a été soustrait de l’air que tu respires.

Car, sachez-le, ô mes compatissants lecteurs, à la mort de la société anti-éditoriale, la circulation du sang s’est arrêtée