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ONZIÈME PARTIE.


CHAPITRE PREMIER.

Il se trouva le lendemain sur l’impériale du Télégraphe (ainsi se nommait la diligence de Cambridge) un voyageur qui aurait dû donner à ses compagnons de route une haute idée de ses connaissances en fait de langues mortes ; car depuis l’instant où il s’éleva à ce poste éminent de la voiture publique jusqu’à celui où son pied foula de nouveau la terre, notre mère commune, il ne daigna pas prononcer une seule syllabe d’une langue vivante. « Le sommeil couvre un homme mieux qu’un manteau, » dit l’honnête Sancho Pança. J’en rougis pour toi, brave Sancho, mais tu n’es ici qu’un plagiaire. Tibulle avait dit la même chose bien longtemps avant toi : Te somnus fusco velavit amictu[1].

Le silence n’est-il pas un aussi bon manteau que le sommeil ? N’enveloppe-t-il pas l’homme d’un voile aussi sombre et aussi épais ? Le silence… il cache un monde ! que de projets, que d’espérances brillantes et de tristes craintes ! que d’ambitions et de désappointements ! Vous est-il possible de voir quelqu’un silencieusement assis pendant des heures entières, sans éprouver un impatient désir de franchir le rempart qu’il met ainsi entre lui et la société ? Ne vous intéresse-t-il pas plus que ce beau parleur à votre gauche… ou, à votre droite, cet esprit frivole dont les traits vont heurter vainement la barrière de l’homme muet ? Ô silence, frère de la Nuit et de l’Érèbe, com-

  1. Tibulle, Élégies, III, iv, 55.