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était composé de paragraphes pleins de subtilité, et les annonces qui lui servaient de jambes étaient bien le plus pauvre appendice de ce genre que j’aie jamais vu à la première ou à la dernière page d’un journal. Pourtant cet avorton avait un titre grandiose, un titre qui évoquait le souvenir de tous les plaisirs et de toutes les jouissances, un titre qui sentait le gibier et la soupe à la tortue… il s’appelait le Capitaliste.

Tous ses paragraphes étaient entrelardés de recettes pour faire de l’argent. Dans chaque phrase il y avait un Eldorado. À en croire le Capitaliste, personne avant lui n’avait trouvé le juste intérêt de ses livres, schellings et pence. Qu’était-ce que 20 pour 100 ? Une misère. On y entretenait souvent le lecteur de l’Irlande… non pas de ses injures et de ses malheurs, Dieu merci ! mais de ses pêcheries. On y demandait ce qu’étaient devenues les perles pour lesquelles la Grande-Bretagne était autrefois si fameuse. Venait ensuite une digression savante sur des sciences longtemps perdues et heureusement retrouvées ; une proposition fort ingénieuse pour convertir la fumée des cheminées de Londres en engrais, grâce à un nouveau procédé chimique ; une recommandation aux pauvres de faire éclore des œufs, comme les anciens Égyptiens ; des projets pour faire pousser des oignons dans les terres incultes, d’après le système adopte près de Bedford, et retirer un profit net de cent livres par arpent ! Bref, au dire de ce journal, toute pièce de terre pouvait nourrir son homme, et tout schelling pouvait devenir le fécond procréateur de cent autres.

Trois jours durant, nous n’entendîmes parler que de ce journal, dans le salon de lecture du club de l’Union à Cambridge. Aux uns il faisait hausser les épaules, les autres en riaient ; d’autres se contentaient d’exprimer leur étonnement, jusqu’à ce qu’un mathématicien taquin, qui avait du temps de reste, car il venait de passer sa thèse, envoya au Morning-Chronicle une lettre où il démontra que certain article, sur lequel l’infortuné Capitaliste avait particulièrement appelé l’attention, contenait plus de bévues qu’il n’en eût fallu pour remplir l’île de Laputa, dont il est question dans les Voyages de Gulliver. Après la publication de cette lettre, nul ne daigna plus lire le Capitaliste. Combien de temps traîna-t-il encore son existence ? je l’ignore ; mais il est certain qu’il ne mourut pas d’une maladie de langueur.