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me persuader qu’il ne se fût écoulé que si peu de jours depuis que Roland avait appris la mort de son fils… de ce fils dont la destinée l’avait si longtemps tourmenté ; car jamais Roland n’avait paru si libre de tout souci. Était-ce naturel, était-ce forcé ? Plusieurs jours se passèrent avant qu’il me fût possible de répondre à cette question ; et même alors je ne fus pas entièrement satisfait de la réponse. Il y avait effort, ou plutôt détermination systématiquement arrêtée. Par moments la tête de Roland retombait sur sa poitrine, ses sourcils se contractaient et tout son être semblait s’affaisser ; mais cela ne durait qu’un instant. Bientôt il se réveillait, comme un coursier assoupi se réveille au son de la trompette ; il secouait le poids qui l’oppressait. Toutefois, il était impossible de ne pas reconnaître que, grâce à la vigueur de sa détermination ou à quelque secours venu d’un autre ordre d’idées, la tristesse de Roland était réellement moins grave et moins amère qu’elle ne l’avait été, ou qu’on ne l’eût naturellement supposée. Il semblait tous les jours de plus en plus transférer ses affections de celui qui était mort sur ceux qui l’entouraient, et particulièrement sur Blanche et sur moi. Il laissait voir qu’il me regardait désormais comme son successeur légitime, comme le soutien futur de son nom ; il aimait à me confier tous ses petits projets et à me consulter. Il se promenait avec moi autour de son domaine (dont je parlerai plus longuement ci-après) ; il me montrait, du haut de chaque colline que nous gravissions, jusqu’où s’étendaient à l’horizon les vastes propriétés de ses ancêtres ; il me déroulait d’une main tremblante l’arbre généalogique tout moisi, et s’arrêtait longuement sur ceux de ses aïeux qui avaient eu un commandement militaire ou qui étaient morts sur le champ de bataille.

Un d’eux avait pris la croix et suivi Richard à Ascalon ; un autre s’était battu à Azincourt ; un cavalier aux longs cheveux (dont le portrait existe encore) avait succombé à Worcester ; c’était sans doute celui qui avait mis son fils à rafraîchir dans le puits que ce fils consacra ensuite à de plus agréables usages. Mais de tous ces braves il n’en était pas un que mon oncle, par esprit de contradiction peut-être, estimât autant que cet apocryphe sir William. Et pourquoi ? Parce que, lorsque le traître Stanley changea la fortune de la bataille de Bosworth, et que ce cri de désespoir : Trahison ! trahison ! fut