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par-dessus ces disjecta membra, pour saisir les courroies des fenêtres à droite et à gauche, et se tenait rampant comme l’aigle double de l’empire d’Autriche. Et certes, il serait heureux aujourd’hui que l’aigle double fût aussi solidement assise que l’était Mme Primmins[1] ! Quant au canari, il ne manquait jamais de répondre par un petit cri de surprise à chaque Bonté divine ! ou Seigneur, protégez-nous ! que les cahots et les secousses arrachaient aux lèvres de Mme Primmins avec une douleur aussi éloquente que les Αἴ, αἴ ! des chœurs grecs.

Mon père, son chapeau à larges bords enfoncé jusqu’aux sourcils, était plongé dans ses méditations. Les scènes de sa jeunesse se levaient devant lui, et sa mémoire, comme un esprit ailé, volait doucement au-dessus des ornières et des cailloux du chemin.

Ma mère, assise à côté de lui, le regardait jalousement, un bras passé sur son épaule. Croyait-elle que ce visage rêveur exprimait un regret de son premier amour ?

Blanche qui avait été bien triste, et qui avait pleuré longtemps en silence depuis qu’on lui avait mis sa robe de deuil et qu’on lui avait appris la mort de son frère (quoiqu’elle n’eût aucun souvenir de ce frère perdu), commença enfin à manifester l’empressement et la curiosité de son âge pour découvrir de loin la chère tour de son père. Blanche était assise sur mes genoux, et je partageais son impatience.

Enfin on aperçut la flèche d’une église… puis l’église même… puis un bâtiment carré tout auprès ; c’était le presbytère (la maison où mon père avait vu le jour)… puis une longue rue irrégulière de chaumières et de pauvres boutiques, avec, çà et là, une maison de plus belle apparence… et à l’arrière-plan, une grande masse informe de murailles en ruines, sur une de ces éminences où les Danois aimaient à asseoir leurs camps et leurs forteresses. Une autre tour anglo-normande s’élevait du milieu de ces ruines. Il y avait alentour quelques arbres, des peupliers ou des sapins, avec un grand chêne vigoureux et intact.

Notre chemin tournait alors derrière le presbytère et montait une pente escarpée. Quel chemin ! toute la paroisse méritait d’être fouettée pour ce chemin. Si j’avais tracé un chemin

  1. Écrit en 1848.