Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dore ! je voudrais que vous entendissiez mon père sur ce point. Allons, ajoutai-je avec une noble compassion, allons, il n’est pas trop tard ; laissez-moi vous présenter à mon père. Je consens à lire des romans français toute ma vie, si un seul entretien avec Austin Caxton ne vous renvoie pas chez vous le visage plus épanoui et le cœur plus léger. Allons, venez dîner avec nous aujourd’hui.

— Impossible, dit Vivian un peu troublé, impossible ; je quitte Londres aujourd’hui-même. Une autrefois peut-être… Car, ajouta-t-il froidement, nous nous reverrons sans doute.

— Je l’espère, répliquai-je en serrant sa main ; c’est vraisemblable, puisque malgré vous j’ai deviné votre secret, votre naissance et votre famille.

— Quoi ! s’écria Vivian en pâlissant et se mordant les lèvres ; que voulez-vous dire ? parlez.

— Eh bien donc, n’êtes-vous pas le fils perdu et fugitif du colonel Vivian ? Allons, dites la vérité ; ayez confiance en moi. »

Vivian poussa quelques brusques soupirs ; puis s’asseyant, il s’appuya la figure sur la table, comme s’il avait été confus de se voir découvert.

« Vous approchez du vrai, dit-il enfin ; mais ne m’interrogez pas davantage en ce moment. Quelque jour, s’écria-t-il impétueusement en se relevant tout à coup, quelque jour vous saurez tout ! Oui, un jour, si je vis, quand ce nom aura conquis une belle place dans le monde, quand le monde sera à mes pieds ! » Il étendit la main droite comme pour s’emparer de l’espace, et ajouta avec son froid sourire : « Des rêves, encore des rêves !… Maintenant, examinez ce papier. » Et il me tendit un mémorandum tout hérissé de chiffres. « C’est, je crois, la note de tout l’argent que je vous dois. Dans quelques jours je m’acquitterai. Donnez-moi votre adresse.

— Oh ! m’écriai-je tristement, pouvez-vous me parler d’argent, Vivian ?

— C’est un instinct de cet honneur que vous me vantez si souvent, répondit-il en rougissant. Pardonnez-moi.

— Voici mon adresse, dis-je en me baissant pour écrire et pour cacher la blessure qu’il venait de me faire. Vous vous en servirez souvent, j’espère, et vous me direz que vous êtes heureux.

— Quand je serai heureux, vous le saurez.