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Je me retournai vivement, et mon regard rencontra les yeux noirs, sérieux et doux, de ma cousine Blanche.

« Ne vous en allez pas encore, Sisty, dit-elle d’une voix caressante. Je vous attendais ; j’avais entendu votre voix, mais je ne voulais pas entrer, de peur de vous déranger.

— Et pourquoi m’attendiez-vous, ma petite Blanche ?

— Pourquoi ? simplement pour vous voir. Mais vous avez les yeux rouges. Ô mon cousin ! » Et avant que j’eusse pu prévoir son mouvement enfantin, elle m’avait sauté au cou et m’embrassait. Or, Blanche n’était pas comme la plupart des enfants ; elle était très-avare de ses caresses. Ce baiser venait donc du fond de son bon petit cœur. Je le lui rendis sans dire un mot ; et, l’ayant déposée doucement sur le palier, je descendis précipitamment l’escalier et me trouvai dans la rue.

À peine avais-je fait quelques pas, que j’entendis la voix de mon père. Il vint à moi, et passant son bras sous le mien me dit :

« Ne sommes-nous pas deux à souffrir ?… pourquoi n’irions-nous pas ensemble ? »

Je pressai son bras et nous cheminâmes en silence. Mais lorsque nous fûmes près de la maison de Trévanion, je dis en hésitant :

« Ne vaudrait-il pas mieux que j’entrasse seul ? s’il doit y avoir une explication entre M. Trévanion et moi, votre présence ne semblerait-elle pas impliquer ou bien une prière qui nous abaisserait tous deux, ou un doute de moi qui…

— Eh bien ! entrez seul. Je vous attendrai.

— Pas dans la rue… Oh ! non, mon père ! » m’écriai-je, ému au delà de toute expression. Car tout cela était tellement hors des habitudes de mon père, que j’eus des remords d’avoir ainsi communiqué les chagrins de ma jeunesse à la calme dignité de sa vie sereine.

« Vous ne savez pas, mon fils, combien je vous aime. Je ne l’ai su moi-même que bien tard. Voyez-vous, je vis en vous maintenant, en vous mon premier-né, et non dans mon autre fils, le grand ouvrage. Laissez-moi agir à ma tête. Entrez ; c’est bien cette porte, n’est-ce pas ? »

Je serrai la main de mon père, et je sentis alors que, tant que cette main répondrait à la mienne, la perte de Fanny Trévanion elle-même ne ferait pas du monde un désert. Combien